Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/57

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roi Jean, si magnifiquement prodigue, dit-on, envers ses courtisans ; ainsi vous retrouveriez d’un côté ce que vous auriez donné de l’autre… Et puis, c’est, dit-on, un si charmant séjour que la cour… Ce sont fêtes royales, danses continuelles rehaussées de la plus fine galanterie. Il faudra que Conrad, après notre mariage, me conduise à Paris.

— Tais-toi, tu n’es qu’une écervelée, — dit le vieux seigneur en haussant les épaules ; puis il ajouta en fermant à demi sa main et l’approchant de son oreille en manière de cornet, afin de mieux entendre le héraut royal : — Quelle diable d’antienne va-t-il nous chanter, celui-là ?

« Jean, par la grâce de Dieu, roi des Français, — disait le héraut lisant sur son parchemin, — à ses chers, amés et féaux seigneurs du Beauvoisis, salut. »

— Bon, bon, nous nous passerions fort bien de ta politesse et de tes saluts, — grommela le vieux seigneur de Chivry ; — on emmielle la pilule pour nous la faire avaler.

— De grâce, mon père, laissez-moi donc écouter le messager, — dit Gloriande avec impatience. — Il y a dans le langage royal comme un parfum de cour qui me ravit.

Le héraut poursuivit ainsi : — « L’ennemi mortel des Français, le prince de Galles, fils du roi d’Angleterre, a perfidement rompu la trêve qui ne devait expirer que dans quelque temps. »

— Nous y voilà, — s’écria le comte de Chivry en frappant du pied avec colère, — que te disais-je, ma fille ?… que vous disais-je, messeigneurs ? c’est une levée d’hommes que l’on va nous demander. Le héraut continuait ainsi la lecture de son message.

« Les Anglais, après avoir tout mis à feu et à sang sur leur passage, s’avancent vers le cœur du pays. Afin d’arrêter cette invasion désastreuse et dans ce cas de grand danger public, nous imposons à nos peuples et à notre bien-aimée noblesse un double impôt pour cette année-ci ; de plus, nous enjoignons, mandons et ordonnons à tous nos chers, amés et féaux seigneurs du Beauvoisis de prendre