Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/101

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si Charles VII était complice de ce mensonge, Jeanne, la rougeur au front, répond au chambellan :

— Vous me trompez… celui que vous me montrez n’est pas le roi[1] !

Avisant alors à quelques pas d’elle un frêle et pâle jeune homme, d’une taille remarquablement petite, et dont les traits concordaient parfaitement avec le signalement dont elle gardait un souvenir toujours présent, Jeanne va droit au roi, fléchit le genou devant lui, en disant d’une voix douce et ferme :

— Messire dauphin, le Seigneur Dieu m’envoie vers vous en son nom pour vous secourir… Donnez-moi des gens d’armes, je ferai lever le siége d’Orléans, je chasserai les Anglais de votre royaume ; et, avant un mois, je vous conduirai à Reims… où vous serez couronné roi de France[2].

Quelques assistants, convaincus que la paysanne de Domrémy obéissait à une inspiration divine, regardèrent comme surnaturelle la pénétration dont elle venait de faire montre en reconnaissant Charles VII, confondu parmi ses courtisans, et furent d’autant plus frappés du langage qu’elle tenait au roi ; d’autres, en grand nombre, attribuant au contraire à un jeu du hasard la pénétration de Jeanne, ne virent dans ses paroles qu’une ridicule ou folle jactance ; ils dissimulèrent à peine leur dédain railleur pour cette fille des champs osant effrontément promettre au roi de chasser de son royaume les Anglais, jusqu’alors vainqueurs de tant de célèbres chefs de guerre.

Charles VII attacha sur Jeanne un regard défiant et libertin qui la fit de nouveau rougir, lui fit signe de se relever, et lui dit d’un air nonchalant et sardonique où le doute perçait à chaque parole :

— Ma pauvre fille, nous te savons certes beaucoup de gré de ton bon vouloir pour nous et pour notre royaume ; tu nous promets de chasser miraculeusement les Anglais ? de nous rendre notre couronne ?

  1. Chronique de Perceval, c. IV, p. 49.
  2. Ibid.