Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/13

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— Elle pouvait mordre quelqu’un…

— À quoi pensais-tu donc tout à l’heure ? tu ne t’es pas aperçue de ma venue ?

— Hélas ! je pensais à quelque chose de triste…

— Mais encore ?

— Le gentil dauphin, notre sire… qui est si doux, si beau, si vaillant, et cependant si malheureux par la faute de sa mauvaise mère, sera peut-être forcé d’abandonner la France par la cruauté des Anglais !

— D’où sais-tu cela ?

— Un messager s’est hier arrêté à la maison ; il nous a parlé du mal que font les Anglais dans les pays d’où il vient et des peines de notre jeune sire. Oh ! marraine, je me sentais aussi apitoyée sur lui que s’il était mon frère, je n’ai pu m’empêcher de pleurer avant de m’endormir… Hélas ! le messager revenait toujours à dire que la mère de notre gentil dauphin était fautive de ces grands maux, et que cette méchante femme avait perdu la Gaule…

— Il a dit cela, le messager ? — reprit Sybille, tressaillant à un souvenir soudain ; — il a dit qu’une femme avait perdu la Gaule ?

— Oui, oui. Et il nous racontait que, par sa faute, à elle, les Anglais font endurer misères sur misères aux gens des campagnes ; ils les pillent, ils les tuent, ils mettent le feu à leurs maisons ; ils sont sans merci pour les femmes, pour les enfants ; ils emmènent le bétail des laboureurs. — Et Jeannette suivait d’un œil inquiet ses blanches brebis. — Ah ! marraine, le cœur me saignait en écoutant le messager raconter les infortunes de notre jeune sire et du pauvre monde de ces contrées… Mon Dieu ! faut-il qu’une méchante femme ait causé tant de maux !

— Une femme a fait le mal, — répondit Sybille en hochant la tête d’un air pensif ; — une femme réparera le mal…

— Comment donc cela ?

— Une femme a perdu la Gaule, — reprit Sybille de plus en plus