Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/131

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Jacques Boucher, elle se plut à aider, durant l’après-midi, dans leurs travaux d’aiguille, Madeleine et sa mère, qui, surprises et charmées de voir cette guerrière dont on attendait le salut de la ville… du royaume ! se montrer si ingénue, si avenante et si habile dans les travaux de son sexe, la chérissaient d’heure en heure davantage ; plus d’une fois elle fut obligée d’interrompre l’ouvrage de couture dont elle s’occupait, afin d’apparaître à l’une des croisées du logis, appelée à grands cris par les clameurs de la multitude idolâtre assemblée aux abords de la demeure du trésorier.

Vers le soir, les capitaines jaloux ou ennemis de la Pucelle, réunis en conseil, décidèrent que l’attaque projetée pour le lundi matin n’aurait pas lieu ; il était indispensable, selon eux, d’attendre un renfort amené de Blois par le maréchal de Saint-Sever, et qui devait tâcher d’entrer dans Orléans durant la nuit du mardi. Ce nouveau retard, dont elle fut instruite par l’un des chefs de guerre, affligea profondément Jeanne ; guidée par son excellent bon sens, elle trouvait ces lenteurs désastreuses ; c’était, selon elle, risquer de laisser refroidir l’ardeur des troupes, ranimées par sa présence, et donner aux Anglais le temps de se remettre de leur stupeur. Car, de plus en plus consternés de ce que l’on racontait de prodigieux sur la Pucelle, ils n’avaient pas osé, depuis son arrivée à Orléans, sortir de leurs bastilles pour venir, selon leur habitude, escarmoucher contre la ville. Mais Jeanne, obligée d’en référer à la volonté des chefs de guerre, contre qui elle ne songeait pas encore à lutter, dut se résigner à ce nouveau retard. Elle pleura beaucoup ; puis, à force de réfléchir, commença d’ouvrir les yeux aux empêchements calculés qu’on lui suscitait, et ses voix, échos de sa conscience et de ses pensées, lui dirent :

« — On te trompe… ces capitaines veulent s’opposer traîtreusement aux vues que le ciel a sur toi pour la délivrance d’Orléans et le salut de la Gaule… Courage, Dieu te protège ; ne compte que sur toi pour accomplir la sainte mission qu’il t’a donnée ! »