Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/164

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doublent contre la guerrière, surtout lorsqu’ils voient les mariniers, témoins de la défaite, partager la panique générale, hisser en hâte les voiles des bateaux, seul moyen de retraite des Français, et s’éloigner du rivage, de crainte d’être abordés par les vainqueurs ; ceux-ci, dès lors certains du succès de la journée, dédaignent même de précipiter la déroute des fuyards. Acculés à la Loire, ils vont être noyés ou pris, et Jeanne des premières ; le gros de la troupe des Anglais s’arrête pour pousser trois hurras de triomphe, quelques compagnies s’avancent seules, avec une lenteur dérisoire, afin d’opérer une capture si facile.

— Allons, Jeanne, allons ! — crient de loin les chefs, — allons, ribaude ! rends-toi !… Tu seras brûlée, sorcière ! c’est ton destin !… tu n’y saurais échapper maintenant !…

Cette présomptueuse confiance de l’ennemi donne le temps à l’héroïne de réunir et de reformer en bataille ses gens accourus vers la Loire.

— Prisonniers ou noyés ! — leur dit-elle, en leur montrant les bateaux éloignés du rivage. — Encore un effort… et, de par Dieu, nous vaincrons, comme nous avons déjà vaincu !… Attaquons d’abord l’avant-garde des Anglais, qui croit déjà nous tenir… Hardi ! en avant !…

Et, faisant volte-face, elle court à l’ennemi.

— Hardi ! en avant ! en avant !… — répètent maître Jean et les plus déterminés des citadins d’Orléans en suivant la guerrière.

— Hardi ! en avant ! — répètent leurs compagnons.

Ce n’est plus du courage, ce n’est plus de l’héroïsme, c’est une frénésie surhumaine qui transporte cette poignée de Français et décuple leurs forces. Les compagnies ennemies détachées en avant-garde pour s’assurer d’une capture qu’ils croyaient assurée, stupéfaites de ce mouvement offensif, ne peuvent tenir contre l’irrésistible choc de ce suprême élan du désespoir et du patriotisme ; ramenées en désordre, l’épée dans les reins, vers le corps de bataille,