Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/176

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désolée. La guerrière, rougissant de confusion, permet enfin à son écuyer de délacer sa cuirasse, et d’une main ferme arrache elle-même le fer de son sein, sans pouvoir étouffer un cri de douleur atroce. Dunois et les autres chevaliers voulaient obstinément la faire transporter à Orléans, où elle recevrait, disaient-ils, de meilleurs soins, lui proposant aussi de remettre le combat au lendemain ; elle s’y oppose de toutes les forces qui lui restent, affirme que si les chefs de guerre la soutiennent, quoique tardivement, du côté d’Orléans, lorsque l’attaque recommencera, le succès est certain, et termine en disant à Dunois :

— Que nos gens prennent quelque nourriture et se reposent, nous retournerons à l’assaut ; les Tournelles seront à nous, de par Dieu[1] !

Le fer extirpé de la blessure, la guerrière consentit à se laisser panser ; ce que sa chasteté souffrit en ce moment surpassa les plus grandes douleurs physiques… Lorsque, après avoir quitté sa cuirasse et son buffle, elle sentit sa camise de lin, trempée de sang, qui seule voilait encore ses épaules et son sein, écartée par les mains de son écuyer, ému de respect, Jeanne, frissonnant de tout son corps, ferma involontairement les yeux ; l’on eût dit qu’elle espérait clore aussi sous ses paupières les regards qu’elle redoutait… Mais la vierge de la patrie était si sacrée pour tous, que l’ombre même d’une mauvaise pensée ne troubla pas la pureté du pieux attendrissement de ceux-là qui virent ainsi la belle guerrière demi-nue[2].

Daulon, ainsi que tous les écuyers de profession, était expert en chirurgie ; il portait avec lui, dans une pochette de cuir suspendue à son côté, du linge, de la charpie, un flacon de baume. Il posa le premier appareil sur la blessure, si dangereuse, selon lui, que Jeanne commettrait une imprudence mortelle en retournant au combat ; elle fut inflexible à ce sujet. Elle éprouvait déjà tant de soulagement,

  1. Journal du siége d’Orléans, t. IV, p. 466 ; ap. J. Quicherat.
  2. Ibid.