Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/188

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le martyre, il te fallait accomplir la sainte inspiration de ton patriotisme, frapper la domination anglaise en Gaule d’un coup irréparable en réveillant dans les âmes l’esprit de nationalité endormi depuis plus d’un demi-siècle, et en faisant sacrer à Reims le Charles VII. Ce n’était pas cet homme, méprisable à tes yeux, que tu voulais, Jeanne, consacrer à la face du monde ; c’était l’incarnation vivante de la France dans la personne de son souverain, incarnation visible aux yeux de ce peuple dont tu partageais la crédulité… Mais en ces temps désastreux, désespérés, où nous vivons, alors qu’entre deux maux : un roi ou l’étranger, il fallait choisir la moins odieuse de ces calamités, ton acte a été sage, a été grand ! Si indigne d’intérêt que fût ce porte-couronne, cette couronne, hélas ! était devenue l’emblème de la patrie… et tu voulais son salut et sa gloire.

La guerrière accomplit sa promesse, Charles VII fut par elle conduit à Reims ; il y arriva le 16 juillet 1429, trente-cinq jours après la levée du siège d’Orléans, signal des nombreuses déroutes des Anglais et de la décadence de leur domination en Gaule. Jeanne, malgré son génie militaire, abhorrait les maux qu’engendre la guerre, la guerre dont elle ne se faisait pas, ainsi que les capitaines, un lucratif, sanglant et hideux métier ; elle combattait seulement pour la délivrance du pays, pour la défense des pauvres gens de sa race rustique, mais les dissensions civiles surtout la navraient. Elle eut à Reims la noble pensée de terminer ces discordes ; elle espéra, grâce au sacre du roi, mettre fin à ces luttes acharnées entre Armagnacs et Bourguignons qui depuis tant d’années désolaient, épuisaient le pays, le livraient à l’étranger… Le jour du sacre de Charles VII, elle dicta cette lettre si belle, si touchante, adressée au duc de Bourgogne, chef du parti qui portait son nom :

« Haut et redouté prince, duc de Bourgogne, moi, Jeanne, je vous requiers, de par le roi du ciel, mon souverain Seigneur, que le roi de France et vous fassiez bonne paix, ferme, sincère, qui dure longtemps ; pardonnez-vous l’un à l’autre de bon cœur, en-