Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/213

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l’évêque cauchon. — D’où il suit que moi et l’inquisiteur Jean Lemaître nous formerons une autorité suffisante pour appliquer à Jeanne la loi contre les hérétiques. Mais pour ce faire, il faut qu’elle convienne ou donne des preuves de son hérésie… Là se rencontre une grave difficulté qu’il dépend de vous d’aplanir.

le chanoine loyseleur. — Comment cela, monseigneur ?

l’évêque cauchon. — Si dévoués que me soient les juges du tribunal, il leur faut, afin de sauvegarder la dignité de l’Église, des preuves certaines, valables, pour condamner Jeanne ; or, l’on dit la diablesse fine et rusée… J’ai lu ses réponses à son interrogatoire à Poitiers ; elle a souvent étonné, embarrassé ses juges par sa présence d’esprit ou l’élévation de ses réponses. Il ne faut point qu’il en soit à Rouen comme à Poitiers. Voici donc la marche sommaire que je voudrais imprimer au procès, afin que la Jeanne ne s’en puisse humainement tirer : obtenir d’elle des aveux malsonnants, damnables au point de vue catholique, la condamner là-dessus ; puis, après sa condamnation trouver le moyen de l’amener à rétracter publiquement ses erreurs, et l’admettre à la pénitence !

le chanoine loyseleur, stupéfait. — Mais si elle renie ses erreurs, elle n’est pas condamnée, monseigneur ? Mais si elle est admise à la pénitence, elle n’est point brûlée !…

l’évêque cauchon. — Patience… écoutez-moi… La Jeanne, je suppose, abjure ses erreurs, elle est admise à la pénitence ; notre sainte mère l’Église n’a-t-elle pas fait preuve de mansuétude et d’indulgence ?

le chanoine loyseleur. — Et Jeanne échappe au fagot ? 


l’évêque cauchon. — Pour un jour… Mais bientôt on l’amène, par un moyen habile, à retomber dans ses premières déclarations hérétiques, peut-être même à soutenir que son abjuration a été le résultat d’un piège à elle tendu, d’une surprise ; en un mot, on l’amène à persister dans ses erreurs damnables. Ce revirement criminel nous donne alors le droit de condamner la pénitente sans pitié