Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/250

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jeanne darc. — Qu’ils le crussent ou non, ils s’en fiaient à mon courage.

l’évêque cauchon. — Lors du sacre de votre roi à Reims, n’avez-vous pas fait orgueilleusement tournoyer votre bannière au-dessus de la tête de ce prince ? 


jeanne darc. — Non ; mais, seule parmi les chefs de guerre, j’ai accompagné le roi dans la cathédrale mon étendard à la main.

un juge, aigrement. — Ainsi, tandis que les capitaines ne portaient pas leur étendard à cette solennité, vous seule portiez le vôtre ?

jeanne darc. — Il avait été à la peine… il pouvait bien être à l’honneur !

Cette sublime réponse, d’un si légitime et si touchant orgueil, empreinte d’une simplicité antique, frappe les bourreaux de la victime, malgré leur acharnement contre elle. Mots héroïques et navrants !… Ils disaient au prix de quels périls, et surtout de quelles amères douleurs, de quelles poignantes déceptions, Jeanne avait obtenu son innocent triomphe ! Oh ! oui, ton glorieux étendard et toi, vous aviez été cruellement à la peine, pauvre martyre !… Ton corps virginal a été brisé par les rudes fatigues de la guerre ! tu as versé ton généreux sang sur les champs de bataille ! tu as lutté avec l’admirable opiniâtreté, avec les mortelles angoisses du plus saint patriotisme, contre les ténébreuses machinations, contre les infâmes trahisons des chefs de guerre, qui ont enfin causé ta perte ! tu as lutté contre la lâche inertie de Charles VII, cet ingrat et royal couard qu’avec tant de peine tu as traîné de victoire en victoire jusqu’à Reims, où tu l’as fait sacrer roi ! Ta seule récompense fut de voir ton étendard à l’honneur de cette consécration solennelle, dont tu espérais le salut de la Gaule ! Oui, oui, vierge de la patrie ! ton étendard avait été à la peine… il pouvait bien être à l’honneur !…

La surprise des prêtres-juges à ces paroles sublimes cause un silence de quelques instants ; l’évêque Cauchon le rompt le premier, et s’adressant à l’accusée d’une voix lente, en pesant chacun