l’inquisiteur. — Vos voix vous ont-elles indiqué précisément le jour ou vous seriez prise ?
jeanne darc. — Non, pas précisément ; elles m’annonçaient seulement que bientôt je serais trahie et livrée… Je l’ai dit aux bonnes gens de Compiègne le jour de la sortie.
un juge. — Si vos voix vous avaient ordonné de livrer bataille devant Compiègne en vous avertissant que vous seriez prisonnière ce jour-là, leur diriez-vous obéi nonobstant ?
jeanne darc. — J’aurais obéi à regret ; mais j’aurais obéi, quoi qu’il pût m’arriver…
un juge. — Avez-vous passé le pont pour faire votre sortie de Compiègne ?
jeanne darc, de plus en plus cruellement affectée par cette remémorance. — Cela est-il donc du procès ?
l’évêque cauchon. — Répondez.
jeanne darc, d’une voix brève et hâtée. — J’ai passé le pont ; je suis sortie par le passage de la redoute ; j’ai attaqué avec ma compagnie les Bourguignons du sire de Luxembourg ; je les ai repoussés par deux fois jusqu’à leurs retranchements, la troisième jusqu’à mi-chemin. Alors les Anglais sont venus, ils m’ont coupé la retraite ; plusieurs de mes soldats voulaient me faire rentrer dans Compiègne, mais le pont était levé derrière nous… J’ai été prise… (Elle tressaille.)
l’évêque cauchon. — Jeanne, votre interrogatoire est, pour aujourd’hui, terminé. Priez le Seigneur d’éclairer votre âme et de vous guider dans la voie du salut éternel ; que Dieu vous garde et vous vienne en aide !… (Il fait le signe de la croix.) Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit… Amen !
Tous les prêtres-juges se lèvent et répètent d’une seule voix : — Amen !
l’évêque cauchon. — Que l’accusée soit remmenée dans sa prison…
Les deux appariteurs s’approchent de Jeanne Darc, chacun d’eux