» — Il a coulé le sang d’Hêna ! — Ô vierge sainte ! il n’aura pas en vain coulé, ton sang innocent et généreux !
» — Aux armes ! aux armes ! — Chassons l’étranger ! victoire à nos armes ! »
Les yeux de Jeannette se remplirent de nouveau de larmes, et elle dit à Sybille, lorsque celle-ci eut achevé cette légende :
— Oh ! marraine, si le bon Dieu, ses saintes ou son archange me disaient : « — Jeannette, quoi aimerais-tu mieux, être Hêna ou la guerrière lorraine qui doit chasser ces méchants Anglais de la France et rendre sa couronne à notre gentil dauphin ?… »
— Que préférerais-tu, mon enfant ?
— J’aimerais mieux être Hêna.
— Pourquoi ?
— Elle a, pour délivrer son pays, offert son sang au bon Dieu, sans répandre celui de personne… et la guerrière de nos pays devra tant répandre de sang ! tant tuer de monde avant d’être victorieuse et de faire couronner notre pauvre jeune sire !… Ah ! marraine, — ajouta la bergerette en frémissant, — Merlin a dit qu’il voyait le sang couler à torrents et fumer comme un brouillard !…
Jeannette s’interrompit, se leva soudain, entendant à quelques pas, dans le taillis, un assez grand bruit, mêlé de bêlements plaintifs ; presque aussitôt, l’un de ses agneaux sortit effaré des buissons, poursuivi par un gros chien noir ; il n’aboyait pas, car il mordait à belles dents le mouton à la cuisse. Laisser sa quenouille, ramasser deux pierres, dont elle s’arma, courir bravement au chien, tel fut le premier mouvement de l’enfant, tandis que Sybille, effrayée, lui criait :
— Prends garde ! chien qui n’aboie pas a la rage mue !
Mais la bergerette, l’œil brillant, la figure animée, ne tint compte des avertissements de sa marraine, s’élança sur le chien, armée de