Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/305

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cieux, de sentir ses membres, endoloris, meurtris pendant si longtemps par le poids de ses chaînes, enfin dégagés de leurs cruelles entraves ; elle se félicitait surtout d’être délivrée de la présence de ses geôliers, dont les propos méchants ou obscènes, les regards licencieux, lui causaient dans sa prison un supplice de tous les instants. Elle ne refusa pas de prendre quelque nourriture et un peu de vin généreux trempé d’eau ; ses forces augmentèrent ; aussi, le troisième jour qui suivit son abjuration, elle put se lever. Ses gardiennes lui présentèrent une longue robe de femme et un chaperon ; Jeanne, n’éprouvant plus les pudiques appréhensions que lui inspirait dans son cachot la vue de ses geôliers, reprit sans hésitation les habits de son sexe après avoir quitté son lit. La porte de la chambre qu’elle occupait s’ouvrait sur une sorte de plate-forme, où les vieilles l’engagèrent à se promener ; une clôture en planches assez élevées pour que le regard ne put s’étendre au-delà entourait cette terrasse ; de pareilles planches, placées en dehors de la fenêtre et à moitié de sa hauteur, interceptaient ainsi complètement la vue extérieure ; Jeanne interrogea sur la nécessité de ces clôtures ses silencieuses gardiennes, sans obtenir d’elles d’autre réponse que ce sourire mystérieux incrusté sur leurs lèvres ; elle ne renouvela pas sa question, mais leur dit que, ses forces et sa santé renaissant, elle espérait bientôt sortir du lieu où elle se trouvait et retourner dans son pays ; les vieilles se prirent à sourire de nouveau et lui répondirent qu’elles la voyaient avec grande joie assez réconfortée pour pouvoir entreprendre un grand voyage.

Jeanne resta longtemps sur la plate-forme voisine de sa chambre, aspirant l’air printanier avec délices ; puis, la nuit venue et se sentant légèrement fatiguée par sa promenade, elle se coucha non loin du lit destiné à ses gardiennes, et s’endormit profondément.

Vous l’avez compris, fils de Joel, la pauvre martyre, sujette, malgré son héroïsme, aux faiblesses humaines et toute à la joie de se voir libre (elle le croyait du moins) après de si longues souffrances, n’avait éprouvé d’abord aucun remords de son abjuration ; cependant vers