Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/32

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— Je ne me plains point de ce qu’elle parle peu, je n’aime pas les bavardes… Je me plains de sa paresse, de ses distractions ; je veux qu’elle redevienne laborieuse, active, comme par le passé ; sinon, je la corrigerai…

— Ce changement que nous remarquons dans notre fille ne provient pas de sa mauvaise volonté, mon ami.

— D’où provient-il donc ?

— Hier encore, vraiment inquiète de sa santé, j’ai interrogé Jeannette. Elle souffrait, m’a-t-elle dit, de violents maux de tête depuis quelque temps ; elle se sentait courbaturée sans avoir presque marché ; elle dormait à peine et éprouvait parfois des vertiges, pendant lesquels tout semblait tourner autour d’elle. Ce matin, en allant à Neufchâteau porter du beurre et des volailles, j’ai consulté frère Arsène, le chirurgien, sur l’état de Jeannette…

— Eh bien !

— Lorsque je lui ai eu appris de quoi elle se plaignait, il m’a demandé son âge. « — Treize ans et demi passés, — lui ai-je répondu. — Est-elle forte et d’une bonne santé ? — Oui, mon père, elle est forte et se portait très-bien avant ces changements que je remarque en elle et dont je m’inquiète. — Rassurez-vous, — m’a dit frère Arsène, — rassurez-vous, bonne mère, votre petite fille, bientôt sans doute, sera grande fille, en un mot sera formée. » Tu comprends, Jacques ?…

— Oui, oui…

« — À l’approche de cette crise, toujours si grave, — a ajouté frère Arsène, — les jeunes filles deviennent languissantes, rêveuses, souffrantes, taciturnes, recherchent la solitude ; les plus robustes deviennent mièvres, les plus laborieuses indolentes, les plus gaies tristes. Cela dure quelques mois, et ensuite elles reprennent leurs habitudes. Mais, — a ajouté frère Arsène, — il faut se garder, sous peine de graves accidents, de contrarier, de gronder votre fille en un tel moment ; l’on a vu des émotions trop vives arrêter ou sup-