sous les grands arbres du bois chesnu et, rêveuse, répétait à demi-voix ce passage de la prophétie de Merlin :
« — Pour qui cette couronne royale ? ce cheval ? cette armure ?
» — Oh ! que de sang ! Il jaillit, il coule à torrents ! Oh ! que je vois de sang ! que je vois de sang !
» — Il fume… sa vapeur monte… monte comme un brouillard d’automne vers le ciel.
» — Vers le ciel où gronde la foudre, où luit l’éclair…
» — À travers ces foudres, ces éclairs, ce brouillard sanglant, je vois une guerrière ; blanc est son coursier, blanche est son armure…
» — Elle bataille… bataille et bataille encore au milieu d’une forêt de lances, et semble chevaucher sur le dos des archers… »
Soudain Jeannette entend au loin une rumeur, d’abord confuse et qui, se rapprochant de plus en plus, est bientôt accompagnée de ces clameurs poussées par des voix enfantines : Bourgogne et Angleterre ! auquel répond cet autre cri : France et Armagnac ! Presque aussitôt une troupe de garçonnets de Domrémy apparaissent au tournant de la lisière du bois, fuyant en désordre sous une grêle de pierres que venaient de leur lancer les garçonnets de Maxey. L’engagement avait été vif, la victoire vaillamment disputée à en juger par les vêtements en lambeaux, les yeux contus et les nez saignants des plus héroïques de ces bambins ; mais, cédant à la panique, ils se sauvaient à toutes jambes, en pleine déroute. Leurs adversaires, satisfaits de la victoire, essoufflés de leur course, et craignant sans doute les abords de Domrémy, place forte de l’armée en retraite, s’arrêtèrent prudemment à la limite du bois qui les cachait, et répétèrent par trois fois le cri triomphant : Bourgogne et Angleterre !
Ce cri victorieux fit bondir Jeannette, transportée de colère, de honte en voyant ceux de son village qui combattaient pour la Gaule, pour le roi, fuir devant les partisans de Bourgogne et d’Angleterre ; aussitôt s’élançant vers un adolescent de quinze ans, nommé Urbain,