Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/48

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des vaincus ; et ceux-ci, se relevant éperdus, s’enfuirent à toutes jambes.




Jeannette resta seule, tellement troublée, qu’elle ne savait si elle veillait ou si elle rêvait. Cependant, encore toute palpitante de la lutte, des aspirations confuses fermentaient dans son esprit ; elle venait de ressentir pour la première fois un élan d’ardeur guerrière provoquée par la honte d’une défaite subie aux cris victorieux de Bourgogne et Angleterre. Oubliant que cette bataille puérile n’était qu’un jeu, indignée, révoltée de l’échec de son parti, elle avait vu ces enfants, réconfortés à sa voix, ranimés par son courage, entraînés par son exemple, retourner au combat et vaincre aux cris de France ! France !

À cette remémorance se mêlait vaguement celle de l’horrible massacre du village de Saint-Pierre ; se souvenant aussi des prophéties de Merlin, la bergerette élevait sa pensée vers sainte Catherine et sainte Marguerite, ses deux bonnes saintes, qu’elle priait avec tant de ferveur, leur demandant de chasser de France les Anglais et de prendre en pitié son gentil dauphin ; le chaos de ces idées sans suite, sans liens, se heurtant dans le cerveau brûlant de Jeannette, lui causèrent l’un de ces douloureux vertiges auxquels elle était de plus en plus sujette depuis la perturbation profonde jetée dans sa santé ; elle tomba dans une sorte d’extase, ses yeux se voilèrent, et lorsqu’elle reprit connaissance, le soleil, déjà disparu, faisait place au crépuscule. Elle se dirigea en toute hâte vers la Fontaine-aux-Fées, près de laquelle pâturaient ses brebis ; le trajet était long, elle perdit beaucoup de temps à rassembler son troupeau épars, et ne put qu’à la nuit noire regagner Domrémy, tremblant d’avoir par ce retard encouru la colère de son père, et surtout craignant de s’entendre sévèrement reprocher la part qu’elle avait prise au combat des garçonnets ; car Urbain, tout glorieux de sa victoire, pouvait, de retour au village, avoir jasé de la