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logis. Ce fut pour elle un grand chagrin de renoncer à aller chaque jour près de cette claire fontaine, solitude ombreuse où elle se plaisait tant à écouter le bruit des cloches, dont les dernières vibrations semblaient depuis quelque temps arriver à son oreille comme un céleste murmure de voix argentines. Elle se soumit aux volontés paternelles, et pendant la matinée s’occupa de différents travaux du ménage ; Isabelle, plus indulgente que Jacques, dit à sa fille, vers le milieu du jour, d’aller jouer dans le jardin en attendant l’heure du repas.

Il était environ midi, le soleil d’été dardait ses rayons brûlants sur la tête de Jeannette ; affaiblie par le jeune de la veille[1], fatiguée par ses songes pénibles, elle s’assit sur un banc, le front dans sa main, et resta rêveuse, pensant aux prophéties de Merlin… Bientôt les cloches de Greux, commençant de tinter au loin, elle écouta les sonneries avec ravissement, oubliant que le soleil frappait à plomb sur sa tête nue ; peu à peu le bruit des cloches s’affaiblit, et elle éprouva soudain un éblouissement si intense, si vif, que l’éclatante clarté du soleil, réfléchie sur le mur blanc de l’église qui faisait face à Jeannette[2], lui parut sombre auprès du flot de lumière où se noya son regard ; à ce moment même, il lui sembla que les vibrations mourantes des cloches, au lieu de se fondre, ainsi que par le passé, en un murmure inintelligible, se changeaient en une voix d’une douceur infinie qui lui disait tout bas :

Jeanne, sois sage et pieuse !… Dieu a des desseins sur toi ; tu chasseras l’étranger de la Gaule[3] !…

La voix se tut, l’éblouissement de Jeannette cessa. Éperdue, saisie de frayeur, elle fit quelques pas dans le jardin ; puis, tombant agenouillée, les mains jointes, elle invoqua sainte Catherine et sainte Marguerite, ses bonnes saintes, se croyant obsédée par le démon[4].




Ce jour du mois de juillet de l’an 1425 décida de l’avenir de

  1. Procès de condamnation, t. I., p. 88.
  2. Ibid.
  3. Ibid., p. 89.
  4. Ibid.