Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/56

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« — J’éprouvais, — disait-elle plus tard, — j’éprouvais dans mon esprit ce que doit ressentir en son corps une femme en mal d’enfant[1]. »

Sainte Marguerite et sainte Catherine apparaissaient fréquemment à la jeune fille, l’encourageaient, la rassuraient, lui promettaient l’aide de Dieu dans les actes qu’elle devait accomplir ; lorsque la vision s’évanouissait, la pauvre fille fondait en larmes, « — regrettant que ses bonnes saintes ne l’eussent pas emmenée avec elles chez les anges[2]. »

Cependant, malgré ces alternatives de foi et de défaillance à sa mission, Jeanne en vint à se familiariser avec cette idée, dont sa modestie, sa simplicité, s’étaient longtemps effrayées : commander des hommes d’armes et, à leur tête, vaincre les Anglais

Et, d’abord, elle finissait par croire fermement obéir aux volontés de Dieu ; elle voyait en soi la vierge de Lorraine prophétisée par Merlin : ceci était la part de la créance religieuse, de l’extase visionnaire. Mais dans cette organisation admirablement complète, une sagacité rare, un excellent bon sens, une remarquable aptitude militaire, s’alliaient, sans rien perdre de leur valeur, aux exaltations de l’hallucinée : aussi, se rappelant sans cesse cette bataille enfantine où la victoire était restée de son côté, Jeanne se disait :

« — Hommes et enfants, lorsqu’on sait les entraîner, doivent obéir à la même impulsion, aux mêmes sentiments généreux ; et, avec l’aide du ciel, il en serait des hommes de l’armée royale comme il en a été des garçonnets de Domrémy.

» Relever le courage d’une armée découragée, abattue, l’exalter, la conduire droit à l’ennemi, quel que soit son nombre, l’attaquer avec audace en rase campagne ou derrière ses retranchements et le vaincre, ce n’est pas une entreprise impossible… Si elle réussit, les conséquences d’une première victoire, ranimant l’esprit d’une ar-

  1. Procès de condamnation, t. I, p. 80.
  2. Ibid.