Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/61

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fille, elle ne put résister au désir de les toucher furtivement ; profitant même d’un moment où elle resta seule, elle coiffa sa jeune tête du casque de fer, et prit dans sa main virile la lourde épée, qu’elle sortit de son fourreau ; Jeanne, à dix-sept ans, était svelte et forte, grande et belle ; les superbes contours de son sein virginal[1] s’arrondissaient sous son corsage, écarlate comme sa jupe ; ses grands yeux noirs, au regard pensif et doux, sa chevelure d’ébène, son teint pur, légèrement halé par le soleil, sa bouche vermeille, ses dents blanches, sa physionomie chaste, sérieuse et candide, donnaient à l’ensemble de sa personne un aspect attrayant, et lorsqu’elle eut coiffé le casque du soldat, la jeune fille resplendit d’une beauté guerrière. En ce moment rentrèrent le sergent et Jacques Darc ; celui-ci fronça sévèrement le sourcil. Mais le soldat, charmé de voir son casque sur la tête de cette belle paysanne, lui adressa quelques fleurettes ; le mécontentement du laboureur redoubla, cependant il se contint. Jeanne, rougissant, se décasqua, remit l’épée dans son fourreau ; l’on s’attabla pour le souper. Le sergent d’armes, quoique jeune encore, avait, disait-il, fait plusieurs fois partie des compagnies envoyées avec les troupes royales contre les Anglais ; il parla fort de ses prouesses, caressant sa moustache et de côté regardant Jeanne. Celle-ci, à l’extrême surprise de sa famille, malgré le courroux contraint et croissant de son père, sortit de sa réserve ordinaire, rapprocha son escabeau de celui du soldat, parut admirer beaucoup ce vaillant, l’accabla de questions sur l’armée royale, sur ses forces, sur sa manière de combattre, sur sa position présente, sur le nombre de ses bombardes d’artillerie, sur le nom des capitaines qui inspiraient confiance aux hommes d’armes ; le sergent, très-flatté de la curiosité de cette belle fille à l’endroit des faits et gestes militaires, pensant même qu’elle s’intéressait plus encore peut-être au guerrier qu’à la guerre, répondit galamment à toutes les questions de Jeanne. Elle

  1. Mammas ejus erant pulcherrimas… Déposit, du duc d’Alençon. — Procès de rév., t. III, p. 229.