Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/63

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sa fille ; la prit rudement par le bras, lui indiqua d’un geste impérieux l’échelle qui conduisait au réduit où elle couchait, et s’écria :

— Montez là haut ; demain matin je vous parlerai !

Jeanne, absorbée par ses cruelles pensées, obéit machinalement à son père ; celui-ci, lorsqu’elle eut regagné sa chambre, reprit, s’adressant à ses fils, très-surpris de sa rudesse envers leur sœur :

— Que Dieu nous soit en aide ! avez-vous vu de quel air Jeanne regardait ce sergent ?… Ah ! si elle devait jamais s’en aller avec un homme d’armes, votre devoir serait de la noyer de vos propres mains ; sinon, je le jure, je la noierais plutôt moi-même[1] ;

Le laboureur prononça ces paroles avec une telle explosion de colère, que Jeanne les entendit ; elle devina l’erreur de son père et pleura. Mais bientôt ses voix lui dirent :

« — L’heure est venue… La France et son roi sont perdus sans toi… Va, fille de Dieu !… sauve ton roi… sauve la France !… Le Seigneur est avec toi !… »




Écoutez, fils de Joel, écoutez cette légende de la plébéienne catholique et royaliste : — Charles VII a dû sa couronne à Jeanne Darc… il l’a honteusement reniée, lâchement délaissée ! — Chaque jour elle s’agenouillait pieusement devant les prêtres catholiques… leurs évêques l’ont brûlée vive ! — La couardise de la chevalerie avait donné la Gaule aux Anglais ; — le patriotisme, le génie militaire de Jeanne, triomphent enfin de l’étranger… elle est poursuivie, trahie, livrée par la haineuse envie des chevaliers ! — Pauvre plébéienne, l’implacable jalousie des capitaines et des courtisans, l’ingratitude royale, la férocité cléricale, ont fait ton martyre ! — Sois bénie à travers les âges, ô vierge guerrière ! sainte fille de la mère-patrie ! — Écoutez, fils de Joel, écoutez cette légende, — et jugez à l’œuvre : gens de cour, gens de guerre, gens d’Église et royauté !…

  1. Procès de condamnation, t, I, p, 127.