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flamboyante épée, intimidaient la bergerette, tandis qu’elle ressentait une confiance ineffable en ses chères saintes. Elle avait pour marraine Sybille, vieille femme originaire de Bretagne, filandière de son état. Sybille connaissait une foule de légendes merveilleuses, parlait familièrement des fées, des génies ou autres êtres surnaturels. Quelques-uns la croyaient sorcière[1] ; mais son bon cœur, sa piété, l’honnêteté de sa vie, ne justifiaient en rien ces soupçons de magie. Jeannette, objet de prédilection de sa marraine, écoutait avidement les légendes qu’elle lui contait, lorsqu’elle la rencontrait en allant abreuver ses brebis à la fontaine de l’Arbre des Fées, Sybille faisant de préférence rouir son chanvre dans un ruisseau voisin. Les miraculeux récits de sa marraine se gravaient profondément dans l’esprit de Jeannette, de plus en plus sérieuse et pensive à mesure qu’elle approchait de sa quatorzième année ; elle éprouvait depuis quelque temps de vagues tristesses ; maintes fois, seule dans les bois ou dans les prairies, entendant le bruit lointain des cloches, qu’elle aimait tant, elle se prenait à pleurer sans savoir pourquoi elle pleurait ; ces larmes involontaires la soulageaient. Mais ses nuits devenaient agitées, inquiètes ; elle ne dormait plus de ce paisible sommeil dont jouissent les enfants rustiques après de salutaires fatigues. Elle rêvait beaucoup : tantôt ses songes lui retraçaient confusément les légendes de sa marraine ; tantôt elle voyait sainte Marguerite et sainte Catherine lui sourire d’un air tendre et mystérieux.




Ce jour-là, beau jour d’été, le soleil se couchait derrière le château de l’Ile, petite forteresse située entre les deux bras de la Meuse, à une assez longue distance du village de Domrémy. Jacques Darc habitait une maison voisine de l’église, dont le pourpris touchait à la haie de clôture du jardin. La famille du laboureur, réunie devant la

  1. Procès, t. I, p. 40.