Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/87

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— Le fagot pourra venir plus tard, brave Raoul ; mais il nous faut, quant à présent, céder… Je crois deviner la secrète pensée de Georges de La Trémouille ; or, vous le savez mieux que moi, en votre qualité de capitaine expérimenté, l’on peut tourner les positions que l’on ne saurait emporter de front. N’est-ce point là votre avis, La Trémouille ?

— Certes. Voici ma pensée tout entière ; entre amis concourant au même but, ayant les mêmes intérêts, l’on doit parler sans réticence. Je suis depuis longtemps parvenu à éloigner du conseil du roi les princes du sang ; nous régnons… Et d’abord, en ce qui me touche, je suis, quant à présent, loin de désirer le terme de la guerre avec les Anglais et les Bourguignons ; j’ai besoin qu’elle dure. Mon frère, familier du régent d’Angleterre et du duc de Bourgogne, a obtenu d’eux des sauvegardes pour mes domaines ; cette année encore, lorsque l’ennemi s’est avancé jusque sous les murs d’Orléans, mes terres et ma seigneurie de Sully ont été épargnées[1]. Ce n’est pas tout : grâce aux troubles civils et aux nombreux partisans que je tiens à ma solde en Poitou, cette province est à ma merci ; je ne perds pas l’espoir de l’annexer à mes possessions si la guerre se prolonge quelque temps encore[2]. J’ai donc un puissant intérêt à ruiner les projets de cette prétendue envoyée de Dieu, s’ils pouvaient jamais se réaliser ; je ne veux pas, moi, l’expulsion des Anglais, je ne veux pas, moi, la fin de la guerre, parce que cette guerre me sert !… Tels sont, en toute sincérité, les motifs personnels qui me guident… Maintenant, examinons si vos intérêts à vous, Régnault, évêque de Chartres ? à vous, Raoul de Gaucourt ? ne sont point de même nature que les miens. Quant à vous, évêque de Chartres, si la guerre se termine soudain par la force des armes, que deviennent toutes vos négociations si laborieusement tramées depuis

  1. Chronique de la Pucelle, Godefroid, page 500.— Chronique de Berry, ibid., page 576. — Mémoires d’Arthus de Richemond.
  2. Godefroid, p. 734. Ap. J. Quicherat. Intr. au proc., page 27.