Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/246

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mots de son plaidoyer, s’incline modestement devant la cour. Aussitôt de bruyantes discussions s’engagent dans l’auditoire ; les opinions sont extrêmement partagées : les uns approuvent le fier accaparement auquel aspirent les chanoinesses ; d’autres, au contraire, soutiennent résolument que les bernardines ont pour elles le bon droit, en ne voulant pas se laisser déposséder des amis qu’elles ont gagnés par leur douceur et leur bonne grâce. Marphise, après avoir consulté le tribunal, prononce l’arrêt suivant, au milieu d’un religieux silence :

— Vous, Chanoinesses, et vous, Bernardines, qui venez ici chercher un jugement rendu au nom de la déesse d’amour, dont je suis l’indigne représentante, voici l’arrêt qu’elle me dicte en son nom : C’est moi, Vénus, qui fais aimer ; il n’est aucune créature dans la nature à qui je n’inspire des désirs : poissons, oiseaux, quadrupèdes, obéissent à mon empire ; mais l’animal ne suit que son instinct, l’homme est le seul à qui Dieu ait octroyé le don de choisir. Ainsi, quels que soient ces choix, je les approuve, pourvu qu’ils soient guidés par l’amour. À mes yeux comme à ceux de sainte madame Marie, douce mère du Sauveur, la serve et la fille du monarque sont égales pourvu qu’elles soient jeunes, belles, et qu’elles aiment loyaument et plantureusement. Chanoinesses aux manteaux d’hermine et aux robes de pourpre, j’ai toujours chéri vos services ; vos riches atours, vos belles grâces, votre esprit orné, votre antique noblesse vous attireront constamment des amis, conservez-les, mais ne chassez pas de ma cour amoureuse ces pauvres bernardines qui me servent, dans leurs humbles moutiers, avec tant d’ardeur, de zèle et de constance. Oh ! je le sais, vous les primez par la parure ; le lait et l’eau de rose donnent à votre teint une suave blancheur ; l’incarnat du fard vermillonnant vos joues rend plus brillant encore le feu de vos regards ; les parfums d’Orient embaument vos cheveux élégamment tressés ; sans cesse entourées par la fleur de la chevalerie et de l’Église, habituées aux recherches du langage de la fine galanterie, votre entretien est,