Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/28

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du feu éternel, nous prêchent la résignation aux hontes et aux douleurs du servage, ces prêtres infâmes sont bien nommés nos pasteurs ! Ils ont fait de nous le lâche et vil troupeau des seigneuries et de l’Église ! — Puis, après un moment de silence, Fergan reprit : — Tiens, Neroweg, tu es en mon pouvoir, désarmé, garrotté, je vais accomplir un grand acte de justice en t’assommant à coups de bâton comme un loup pris au piège, c’est la mort que tu mérites, j’aurais une épée que je ne m’en servirais pas contre toi ; mais ce que tu viens de me dire tout à l’heure en me faisant réfléchir gâte un peu ma joie… je l’avoue, en raison de notre abrutissement, de notre couardise, œuvre de l’Église, nous méritons d’être regardés, traités par vous, nos seigneurs, comme bétail ; vrai, nous sommes aussi lâches que vous êtes féroces, mais si notre lâcheté explique votre scélératesse, elle ne l’excuse point ; donc, tu vas mourir, Neroweg, oui, au nom des maux affreux que ta race a fait souffrir à la mienne, tu vas mourir… Seulement, je veux, moi, fils de Joel, garder un souvenir de toi, descendant des Neroweg. — En disant ces mots, Fergan se baissa brusquement vers le seigneur de Plouernel ; celui-ci, croyant sa dernière heure venue, ne put retenir un cri d’effroi ; mais le serf arracha de la robe déguenillée de Neroweg VI une des coquilles dont elle était parsemée, en symbole de pieux pèlerinage. Pendant un instant, Fergan contempla cette coquille d’un air pensif ; Jehanne et son fils, suivant d’un regard surpris, inquiet, les mouvements du carrier, le virent relever la saie en haillons qui cachait à demi ses braies, et détacher une large ceinture de grosse toile qui entourait ses reins. Dans l’intérieur de cette ceinture, se trouvaient le fer de flèche légué par Eidiol à sa descendance, et l’os de crâne du petit-fils d’Yvon-le-Forestier, ainsi que les parchemins écrits par lui, par son fils, Den-Braô et leur aïeul Eidiol, le nautonnier parisien ; pieuses reliques de famille emportées par Fergan avant de se réunir à la troupe des croisés. Il joignit à ces reliques la coquille qu’il venait d’arracher à la robe de Neroweg VI ;