Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/90

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mosquée d’Omar, bâtie sur l’emplacement de l’ancien temple de Salomon.

Mes souvenirs ne me trompent pas, non, voilà ce que j’ai vu. Oh ! à ces souvenirs, fils de Joel, j’éprouve une sorte de vertige, il me semble que, penché au-dessus d’un fleuve de sang rouge et fumant encore, entraînant dans son cours des milliers de cadavres mutilés, de têtes, de membres épars, ma vue se trouble et ma raison s’égare… Lisez, fils de Joel, lisez ; voilà ce que j’ai vu :

La rue où je pénétrais appartenait au quartier neuf, le plus riche de la ville ; de hautes maisons et plusieurs palais de marbre surmontés de terrasses à balustres s’élevaient de chaque côté de cette large voie pavée de dalles. Une multitude furieuse, soldats, hommes, femmes, enfants, tous appartenant à la croisade, fourmillait dans cette longue rue en poussant des cris féroces ; soudain je vois s’élancer de la porte de la troisième ou quatrième maison à ma droite une belle jeune femme sarrasine, pâle d’épouvante, les cheveux épars, ses riches vêtements presque en lambeaux. Elle tenait entre ses bras deux enfants de deux à trois ans ; derrière elle sortit, marchant à reculons et tâchant de la défendre, un vieillard déjà blessé ; le sang inondait son visage, sa longue barbe blanche ; et il luttait encore contre deux croisés, l’un portant sur son épaule gauche une charge de vêtements précieux, attaquait de sa main droite le vieillard à coups d’épée, il la lui plongea enfin dans la poitrine et le tua aux pieds de la jeune mère. Aussitôt l’autre croisé, qui, dédaignant sans doute un lourd butin, avait passé à son cou plusieurs chaînes d’or et de pierreries pillées dans cette maison, saisit la jeune femme par le cou, la renversa sur un monceau de cadavres, et cet infâme assouvit sur elle sa brutalité ! L’autre soldat du Christ, tenant toujours sur son épaule la charge de vêtements précieux, appuyant sa main droite sur le pommeau de son épée fichée en terre, écrasait sous ses talons ferrés la tête des deux enfants, échappés des bras de leur mère. Soudain accourut une de ces femmes qui suivaient l’armée, une vieille hideuse