lui des manières à la fois simples, élégantes et distinguées, un esprit brillant et enjoué, mais toujours d’une réserve du meilleur goût. Je déteste les louanges, et il trouva moyen de me faire accepter ses flatteries, tant il sut y mettre de délicatesse et de grâce. J’appris dans la soirée qu’il se nommait Gerald, et que…
— Gerald ? — dit vivement Ernestine en songeant que le duc de Senneterre, l’un des prétendans à sa main, se nommait aussi Gerald.
Mais un coup de sonnette qui se fit entendre attira l’attention d’Herminie, et l’empêcha de remarquer l’étonnement de mademoiselle de Beaumesnil.
Celle-ci, à ce bruit, se leva du lit où elle était assise, pendant qu’Herminie, très contrariée de cette visite inopportune, se dirigea vers la porte.
Un domestique âgé lui remit un billet contenant ces mots :
« Il y a plusieurs jours que je ne vous ai vue, ma chère enfant, car j’ai été un peu souffrant. Pouvez-vous me recevoir ce matin.
» Tout à vous bien affectueusement,
» P. S. Ne vous donnez pas la peine de me répondre ; si vous voulez de votre vieil ami, dites seulement oui au porteur de ce billet. »
Herminie, toute à son chagrin, fut sur le point de chercher un prétexte pour éviter la visite de M. de Maillefort ; mais réfléchissant que le marquis, appartenant au grand monde, connaissait sans doute Gerald, et que, sans livrer son secret au bossu, elle pourrait peut-être avoir par lui quelques renseignemens précis sur le duc de Senneterre, elle dit au domestique :
— J’attendrai ce matin M. le marquis de Maillefort.
Puis, revenant dans sa chambre, où l’attendait mademoiselle de Beaumesnil, Herminie se dit :
— Mais si M. de Maillefort vient pendant qu’Ernestine est encore ici ? Eh bien ! peu importe qu’elle le voie chez moi, elle a maintenant mes confidences, et d’ailleurs la chère enfant est si discrète qu’à l’aspect d’un étranger elle me laissera seule avec lui.
Herminie continua donc son entretien avec mademoiselle de Beaumesnil sans lui parler de la prochaine visite de M. de Maillefort, de crainte qu’Ernestine, par convenance, ne la quittât plus tôt qu’elle ne se l’était proposé.
— Pardonnez-moi de vous avoir quittée, ma chère Ernestine, — dit Herminie à son amie. — C’était une lettre, et j’ai fait une réponse verbale…
— Je vous en prie, Herminie, — répondit Ernestine, — veuillez continuer vos confidences, vous ne sauriez croire à quel point elles m’intéressent.
— Et moi, il me semble que mon cœur se soulage en s’épanchant…
— Voyez-vous, j’en étais bien sûre, — répondit Ernestine avec une tendresse ingénue…
— Je vous disais donc qu’à la réunion de madame Herbaut, j’appris que ce jeune homme s’appelait Gerald Auvernay… C’est M. Olivier qui me le nomma en me le présentant.
— Ah !… il connaissait M. Olivier.
— C’était son ami intime… car Gerald avait été soldat au même régiment que M. Olivier ; en quittant le service, il s’était employé chez un notaire, m’a-t-il dit, mais, depuis peu de temps il avait renoncé à ce travail de chicane, qui ne convenait pas à son caractère, et s’était occupé aux fortifications sous un officier du génie qu’il avait connu en Afrique… Vous le voyez, Ernestine, Gerald était d’une condition égale à la mienne, et, libre ainsi que lui, j’étais bien excusable de me laisser entraîner à ce penchant fatal.
— Pourquoi fatal, Herminie ?
— Quelques mots encore, et vous saurez tout. Le lendemain de notre rencontre chez madame Herbaut… vers la tombée du jour, de retour de mes leçons, j’étais assise dans le jardin, dont le propriétaire avait eu l’obligeance de me permettre l’entrée ; ce jardin, comme vous pourriez le voir à travers la fenêtre, n’est séparé de la ruelle, qui le borne, que par une charmille et une palissade à hauteur d’appui ; du banc où j’étais placée, je vis passer Gerald : au lieu d’être mis, comme la veille, avec une élégante simplicité, il portait une blouse grise et un large chapeau de paille ; il fit un mouvement de surprise en m’apercevant ; mais, loin de paraître humilié d’être vu dans son habit de travail, il me salua, s’approcha et me dit gaîment qu’il finissait sa journée, qu’il venait de diriger certaines parties des constructions militaires que l’on exécute maintenant dans la plaine de Monceau ; « C’est un métier moitié d’architecte, moitié de soldat, qui me plaît mieux que la sombre étude du notaire, — me dit-il ; — ce que je gagne me suffit ; j’ai à conduire de rudes et braves travailleurs, au lieu de paperasser des procès, et j’aime mieux cela. »
— Oh ! je comprends bien cette préférence, ma chère Herminie.
— Sans doute aussi, je vous l’avoue, Ernestine, cette résignation à un travail pénible, presque manuel, m’a d’autant plus touchée que Gerald a reçu une très bonne éducation ; ce soir-là il me quitta bientôt et me dit en souriant que, dans l’espoir de me rencontrer quelquefois sur les limites de mon parc, il se félicitait d’avoir à passer souvent par cette ruelle pour aller voir un de ses anciens camarades de l’armée, qui habitait une petite maison que l’on apercevait, en effet, du jardin. Que vous dirai-je, Ernestine ?… presque chaque soir… à la fin du jour, j’avais ainsi un entretien avec Gerald ; souvent même nous sommes allés nous promener dans ces grands terrains gazonnés où ce matin est arrivé l’accident de M. Bernard. Je trouvais dans Gerald tant de franchise, tant de générosité de cœur, tant d’esprit et de charmante humeur ; il paraissait enfin avoir de moi une si haute et, je puis le dire… une si juste estime que, lorsque vint le jour où Gerald me déclara son amour et me dit qu’il ne pouvait vivre sans moi… mon bonheur… fut grand, Ernestine… oh ! bien grand ! car si Gerald ne m’eût pas aimée… je ne sais pas ce que je serais devenue… Il m’eût été impossible de renoncer à cet amour… Et aimer seule… aimer sans espoir, — ajouta la pauvre créature en tressaillant et contenant à peine ses larmes, — oh ! c’est pire que la mort… c’est une vie… à jamais désolée.
Mais, surmontant son émotion, Herminie continua :
— Ce que je ressentais, je le dis franchement à Gerald ; de ma part ce n’était pas seulement de l’amour… c’était presque de la reconnaissance… car, sans lui, la vie m’apparaissait trop affreuse. « Nous sommes libres tous deux, — ai-je dit à Gerald, — notre condition est égale… nous aurons à demander au travail notre vie de chaque jour… et cela satisfait mon orgueil, car l’oisiveté imposée à la femme est pour elle une cruelle humiliation. Notre existence sera donc modeste… Gerald, peut-être même précaire… mais, à force de courage, appuyés l’un sur l’autre et forts de notre amour… nous défierons les plus mauvais jours… »
— Oh ! Herminie, quel digne langage !… Comme M. Gerald a dû être heureux et fier de vous aimer !… Mais, encore une fois, puisque vous avez rencontré tant de chances de bonheur, pourquoi vos larmes, votre chagrin ?
— N’est-ce pas, Ernestine, que j’étais bien excusable de l’aimer ! — dit l’infortunée, en portant son mouchoir à ses lèvres pour comprimer ses sanglots. — N’est-ce pas que