Page:Sue - Les Sept Péchés capitaux, 1852.djvu/99

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tine, parce qu’elle avait une fille qui s’appelait comme vous…

— Et… en vous écoutant… n’est-ce pas ? les souffrances de cette dame devenaient moins vives ?

— Parfois elle les oubliait ; mais hélas !… ce soulagement n’a pas suffi pour la sauver…

— Bonne comme vous l’êtes, Herminie… quels soins touchans vous avez dû avoir… de cette pauvre dame ?

— C’est qu’aussi, voyez-vous, Ernestine… sa position était si intéressante !… si navrante !… Mourir… jeune encore… en regrettant une fille bien-aimée !…

— Et de sa fille… elle vous parlait quelquefois, Herminie ?

— Pauvre mère ! sa fille était sa préoccupation constante… et dernière ; elle avait un portrait d’elle… toute enfant… et souvent j’ai vu ses yeux, pleins de pleurs, s’attacher sur ce tableau ; alors elle me disait combien sa fille méritait sa tendresse par son charmant naturel… elle me parlait aussi des lettres qu’elle recevait d’elle… presque chaque jour ; à chaque ligne, me disait-elle, se révélait la bonté du cœur de cette enfant chérie…

— Pour être ainsi en confiance avec vous… Herminie… cette dame devait vous aimer beaucoup ?

— Elle me témoignait une grande bienveillance… à laquelle je répondais par un respectueux attachement…

— Et… la fille… de cette dame… qui vous aimait tant… et que vous aimiez tant aussi… vous n’avez jamais… eu… le désir de la connaître, cette autre Ernestine ?

— Si… car tout ce que sa mère m’en avait dit avait éveillé d’avance ma sympathie pour cette jeune personne ; … mais elle était en pays étranger… Cependant, lorsqu’elle est revenue à Paris, un instant… j’avais espéré de la voir…

— Comment cela, Ma chère Herminie ? — demanda Ernestine en dissimulant sa curiosité !

— Une circonstance m’ayant rapprochée de son tuteur… il m’avait dit que peut-être je serais appelée à donner à cette jeune demoiselle des leçons de piano.

Ernestine tressaillit de joie ; cette pensée ne lui était pas jusqu’alors venue, mais, voulant motiver sa curiosité aux yeux d’Herminie, elle reprit en souriant :

— Vous ne savez pas pourquoi je vous fais tant de questions sur cette jeune demoiselle ?… C’est qu’il me semble que j’en serais jalouse… si vous alliez l’aimer mieux que moi… cette autre Ernestine ?

— Oh ! rassurez-vous… — dit Herminie en secouant mélancoliquement la tête.

— Et pourquoi… ne l’aimeriez-vous pas ? — dit vivement mademoiselle de Beaumesnil qui, regrettant cette expression d’inquiétude involontaire, ajouta :

— Je ne suis pas assez égoïste pour vouloir priver cette demoiselle de votre affection.

— Ce que je sais d’elle, le souvenir des bontés de sa mère, lui assurera toujours ma sympathie ; mais hélas ! ma pauvre Ernestine, tel est mon orgueil… que je craindrais toujours que mon attachement n’eût l’air intéressé… cette jeune demoiselle est très riche… et je suis pauvre.

— Ah ! — dit amèrement mademoiselle de Beaumesnil, — c’est avoir bien mauvaise opinion d’elle… sans la connaître…

— Détrompez-vous, Ernestine… je ne doute pas de son bon cœur, d’après ce que m’en a dit sa mère… mais pour cette jeune personne, ne suis-je pas une étrangère ?… puis, à cause de plusieurs raisons, et surtout de crainte de réveiller en elle de cruels regrets, c’est à peine si j’oserais lui parler des circonstances qui m’ont rapprochée de sa mère mourante, des bontés qu’elle a eues pour moi. Ne serait-ce pas, d’ailleurs, avoir l’air de chercher à me faire valoir et d’aller au-devant d’une affection… à laquelle je n’ai aucun droit ?…

À cet aveu, combien Ernestine se félicita d’avoir été aimée d’Herminie avant d’être connue pour ce qu’elle était réellement !

Et puis, rapprochement étrange ! elle craignait de ne rencontrer que des affections intéressées parce qu’elle était la plus riche héritière de France, tandis qu’Herminie, parce qu’elle était pauvre, craignait que son affection ne parût intéressée…

La duchesse semblait de plus en plus accablée, depuis la dernière moitié de cet entretien… Elle avait cru y trouver un refuge contre ses cruelles pensées, et, finalement, elle s’y voyait ramenée ; car c’était aussi dans le sublime orgueil de sa pauvreté, craignant de voir attribuer à l’intérêt ou à la vanité son amour pour Gerald, qu’Herminie avait puisé la fière résolution qui devait presque infailliblement ruiner ses dernières espérances. Comment espérer en effet que madame la duchesse de Senneterre consentirait à la démarche exigée d’elle ?

Mais, hélas ! quoiqu’assez courageuse pour sacrifier son amour à la dignité de cet amour même, Herminie n’en ressentait pas moins tout ce que ce sacrifice héroïque avait d’affreux pour elle… à mesure qu’elle y songeait davantage !

Aussi, faisant allusion presque malgré elle à ses douloureux sentimens, elle dit d’une voix altérée, en rompant la première un silence de quelques instans :

— Ah ! ma pauvre Ernestine — qui croirait que les affections les plus pures… les plus nobles, peuvent être souillées par des soupçons infâmes !…

Et incapable de se contenir plus longtemps, elle fondit en larmes en cachant son visage dans le sein d’Ernestine, qui, alors à demi couchée, se releva et serra son amie contre son cœur en lui disant :

— Herminie… mon Dieu !… qu’avez-vous ?… Je m’apercevais bien que vous deveniez de plus en plus triste… mais je n’osais vous demander… la cause de votre peine…

— N’en parlons plus… — reprit Herminie, qui semblait rougir de ses larmes, — pardonnez-moi cette faiblesse mais, tout à l’heure… des souvenirs… pénibles…

— Herminie, je n’ai aucun droit à vos confidences… mais pourtant quelquefois… l’on souffre moins en parlant de sa souffrance…

— Oh ! oui… car cela oppresse… cela tue… une douleur… une contrainte… mais l’humiliation… mais la honte.

— Vous… humiliée … vous éprouver de la honte… Herminie… oh non !… jamais, vous êtes trop fière pour cela !

— Eh ! n’est-ce pas une lâche faiblesse, une honte, que de pleurer comme je fais… après avoir eu le courage d’une résolution juste et digne ?

Et, après un moment d’hésitation, la duchesse dit à Ernestine :

— Ma pauvre enfant… ne regardez pas ce que je vais vous dire… comme une confidence… Votre extrême jeunesse me donnerait des scrupules… mais, dans ce récit, voyez une leçon.

— Une leçon ?

— Oui… comme moi vous êtes orpheline… comme moi vous êtes sans appui… sans expérience qui puisse vous éclairer sur les piéges, sur les tromperies dont de pauvres créatures comme nous sont quelquefois entourées… Écoutez-moi donc, Ernestine… et puissé-je vous épargner les douleurs dont je souffre !

Et Herminie raconta à Ernestine cette scène dans laquelle, justement offensée contre Gerald, qui s’était permis de payer ce qu’elle devait, et le traitant d’abord avec hauteur et dédain, la jeune fille lui avait ensuite pardonné, touchée du généreux sentiment auquel Gerald avait réellement cédé.

Puis Herminie continua en ces termes :

— Deux jours après… cette première rencontre, voulant me distraire de souvenirs qui, pour mon repos, prenaient déjà sur moi trop d’empire… j’allai le soir chez madame Herbaut ; c’était le dimanche ; quelle fut ma surprise de retrouver ce même jeune homme dans cette réunion ! J’éprouvai d’abord une impression de chagrin… presque de crainte… sans doute un pressentiment… puis j’eus le malheur de céder à l’attrait de cette nouvelle rencontre… jamais, jusqu’alors, je n’avais vu personne qui eût, comme