Page:Sue - Les Sept Péchés capitaux, 1852.djvu/98

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Un mot encore, mademoiselle Herminie, voulez-vous avoir la bonté de me recevoir demain… à l’heure qui vous conviendra… pour une chose très importante, et qui, cette fois, m’est toute personnelle ?… vous me rendrez un vrai service…

— Avec plaisir, monsieur Olivier, — répondit la duchesse quoique assez surprise de cette demande.

— Demain matin… je vous attendrai…

— Je vous remercie, mademoiselle… À demain donc ? dit Olivier.

Et il sortit avec le commandant Bernard.

Les deux jeunes filles, les deux sœurs, restèrent seules.


XLII.


Les derniers mots adressés par Olivier à Herminie avaient réveillé les chagrins dont elle s’était forcément distraite lors de l’arrivée imprévue du commandant Bernard et d’Ernestine.

Ernestine, de son côté, resta quelques moments silencieuse, pensive, pour deux motifs ; elle était rêveuse, d’abord parce qu’elle se rappelait les regards singuliers qu’Olivier avait jetés sur elle en apprenant qu’il était officier… regards… dont Ernestine croyait comprendre la touchante et généreuse signification, puis la jeune fille ressentait un mélancolique bonheur en songeant que sa nouvelle amie était la jeune artiste que l’on avait appelée auprès de madame de Beaumesnil pendant ses derniers moments.

La rêverie d’Ernestine s’augmentait de l’embarras qu’elle éprouvait pour amener l’entretien sur les soins touchans dont sa mère avait été entourée par Herminie.

Quant à la présence de mademoiselle de Beaumesnil chez Herminie, rien de plus simple à expliquer ; s’étant rendue, comme d’habitude, à la messe avec mademoiselle de La Rochaiguë, Ernestine avait dit à madame Laîné de l’accompagner, puis, au sortir de l’office, prétextant de quelques emplettes à faire, elle était ainsi partie seule avec sa gouvernante ; un fiacre les avait conduites non loin de la rue de Monceau, et madame Laîné attendait dans la voiture le retour de sa jeune maîtresse.

Quoique le silence de la duchesse eût à peine duré quelques moments, Ernestine, remarquant la morne et pénible préoccupation où venait de retomber son amie, lui dit avec un mélange de tendresse et de timidité :

— Herminie, je ne serai jamais indiscrète… mais… il me semble que depuis un instant vous êtes bien triste ?

— C’est vrai, — répondit franchement la jeune fille — j’ai un grand chagrin.

— Pauvre Herminie, — dit vivement Ernestine, — un grand chagrin ?

— Oui… et peut-être, tout à l’heure, vous en avouerai-je la cause… ; mais maintenant j’ai le cœur trop navré… trop serré ; puisse votre douce influence ! Ernestine… le détendre un peu… alors je vous dirai tout… et encore… je ne sais si je puis…

— Pourquoi cette réticence, Herminie ? ne me jugez-vous pas digne de votre confiance ?…

— Ce n’est pas cela… pauvre chère enfant… mais vous êtes si jeune… que je ne dois pas peut-être me permettre avec vous… certaines confidences… enfin… nous verrons mais pensons à vous, il faut d’abord vous reposer… sur mon lit… vous serez plus commodément que sur cette chaise.

— Mais, ma chère Herminie…

Sans répondre à la jeune fille, la duchesse alla vers son alcôve, et en tira les rideaux, que, par un sentiment de chaste réserve, elle laissait toujours fermés.

Ernestine vit un petit lit de fer, recouvert d’un couvre-pied de guingan rose très frais, pareil à la doublure intérieure des rideaux de perse, et sur lequel s’étendait une courte-pointe de mousseline blanche, relevée d’une garniture brodée par Herminie. Le fond de l’alcôve était aussi tendu en guingan rose, et l’oreiller, d’une éblouissante blancheur, avait une garniture de mousseline à points à jour. Rien de plus frais, de plus coquet que ce lit virginal sur lequel Ernestine, cédant aux prières de la duchesse, s’étendit à demi.

S’asseyant alors dans son fauteuil au chevet de l’orpheline, Herminie lui dit avec une tendre sollicitude, en lui prenant les deux mains :

— Je vous assure, Ernestine… qu’un peu de repos vous fera grand bien… Comment vous trouvez-vous ?

— Je me sens la tête encore un peu pesante, voilà tout…

— Chère enfant, à quel affreux péril vous avez échappé !…

— Mon Dieu ! Herminie, il ne faut pas m’en savoir gré… Je n’ai pas songé un instant au danger… j’ai vu ce pauvre vieillard glisser du talus, et tomber presque sous la roue de la charrette… j’ai crié, je me suis élancée, et, quoique je ne sois pas bien forte, je suis parvenue je ne sais comment à attirer assez M. Bernard de mon côté pour l’empêcher d’être écrasé…

— Vaillante et chère enfant… quel courage !… et votre blessure ?

— C’est en me relevant que je me serai sans doute frappée à la roue… Dans le moment je n’ai rien senti ; M. Bernard, en revenant à lui, s’est aperçu que j’étais blessée… mais ne parlons plus de cela, j’ai eu plus de peur que de mal… et c’est être vaillante à bon marché.

Jetant alors autour d’elle des regards ravis, la jeune fille reprit :

— Vous aviez bien raison de me dire que votre petite chambre était charmante… Herminie ! Comme c’est frais et coquet ! et ces jolies gravures… et ces statuettes si gracieuses… et ces vases remplis de fleurs ; il me semble que ce sont de ces choses bien simples que tout le monde pourrait avoir, et que personne n’a… parce que le goût seul sait les choisir… et puis, quand on pense, — ajouta la jeune fille avec une émotion contenue, — que c’est par votre seul travail que vous avez pu acquérir toutes ces charmantes choses… comme vous devez être fière et heureuse ! comme vous devez vous plaire ici !

— Oui, — répondit tristement la duchesse, je me suis plu ici pendant longtemps…

— Et maintenant, vous ne vous y plaisez plus ? Oh ! ce serait une ingratitude.

— Non ! non… cette pauvre petite chambre m’est toujours chère, — reprit vivement Herminie en pensant que dans cette chambre elle avait vu Gerald pour la première… et pour la dernière fois peut-être.

Ernestine ne savait comment trouver une transition qui lui permît d’amener l’entretien sur sa mère… sans éveiller les soupçons d’Herminie ; mais avisant son piano elle ajouta :

— Voilà ce piano… dont vous jouez si bien, dit-on… Oh ! que j’aurai de plaisir à vous entendre un jour !…

— Ne me demandez pas cela aujourd’hui, je vous en prie, Ernestine… je fondrais en larmes… aux premières notes… quand je suis triste la musique me fait pleurer…

— Oh ! je comprends cela ; mais plus tard… je vous entendrai, n’est-ce pas ?

— Je vous le promets.

— À propos de musique, — reprit Ernestine en tâchant de se contraindre, — l’autre soir, quand j’étais assise chez madame Herbaut, à côté de plusieurs jeunes personnes, l’une d’elles disait qu’une dame étant très malade vous avait appelée auprès d’elle…

— Cela est vrai… — répondit tristement Herminie, essayant de trouver un refuge contre ses pénibles préoccupations dans le souvenir de sa mère. — Oui… et cette dame était celle dont je vous ai parlé l’autre soir, Ernes-