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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/111

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quine, dont j’étais l’unique point d’appui, et qui se trouvait alors légèrement penchée en avant, tomba devant moi… j’eus l’incroyable bonheur de pouvoir, dans notre chute commune, la saisir entre mes bras, à la hauteur des épaules de la mère Major… et de tomber sur mes pieds, en tenant Basquine ainsi embrassée.

À ces mouvements inattendus, Bamboche perdit l’équilibre ; mais, pour lui, comme pour moi, ce saut n’avait rien de périlleux ; il s’en tira lestement.

Nous étions tous trois tombés sur nos pieds. Le public crut que l’exercice devait se terminer ainsi, et applaudit à tout rompre, pendant que j’emportais dans mes bras Basquine, tout étourdie, en disant à Bamboche :

— Viens… viens…

Et nous disparûmes tous trois derrière le pan de toile, laissant la mère Major au milieu de son feint accès de toux, et si troublée de cet incident, qui déjouait son funeste projet, qu’elle resta quelques secondes pétrifiée, béante, dans sa posture de cariatide ; ce qui la fit quelque peu siffler et huer par le public.

Pour combler son désappointement, je dis aussitôt au prévôt des académies de Saint-Pétersbourg, Caudebec, etc., qui attendait le moment de faire son assaut avec l’Alcide femelle :

— L’ordre du spectacle est changé, c’est à votre tour. Allez vite, la mère Major vous attend pour l’assaut.

Je voulais ainsi me ménager un moment de liberté afin d’apprendre à Bamboche et à Basquine le danger que celle-ci avait couru.

Ainsi que j’y avais compté, le prévôt se hâta de se présenter dans l’arène, où il se fendit aussitôt respectueusement devant la mère Major, afin de lui proposer galamment de commencer par tirer le mur.

Ce prévôt était un petit grison sec et maigre, leste et preste, coquettement vêtu de son gilet d’armes et d’un pantalon de tricot blanc, sur lequel tranchaient merveilleusement ses belles sandales de maroquin rouge ; sans doute, ce digne homme ne pouvait pas se targuer d’avoir eu pour professeur l’illustre Bertrand, lui qui a su (ainsi que je l’ai entendu dire à l’un de mes maîtres) allier la grâce,