Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/200

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conseils de Bamboche ; car mes témérités se bornèrent à un baiser pris sur le front pâle et glacé de cette malheureuse enfant que j’emportai évanouie dans mes bras jusqu’à l’instant où, effrayés par l’approche d’une ronde de gendarmes des chasses, Bamboche et moi abandonnâmes nos deux captifs, le vicomte Scipion et Régina.

Entraîné par l’exemple des amours prématurées de Bamboche, qui avait sans doute éveillé en moi une sensibilité précoce… j’étais devenu tout d’abord et j’étais resté passionnément amoureux de Régina, dont le souvenir m’était toujours présent.

Mes amis d’abord s’étaient moqués de moi, et avaient fini par prendre mon amour au sérieux. Souvent, au milieu de nos courses hasardeuses, nos entretiens n’avaient pas d’autre objet. Quant aux moyens de me rapprocher de Régina et de m’en faire aimer lorsque je serais grand, moyens maintes fois discutés entre nous, il faut renoncer à dire leur extravagance ou leur brutalité ; un seul pourtant était un peu moins insensé, un peu moins grossier que les autres ; quand nous aurions l’âge, nous devions nous engager, moi et Bamboche, comme soldats, Basquine comme vivandière. (Nous ne pouvions pas nous quitter, et selon nous il n’y avait pas de soldats sans guerre.) Par mon courage, je devenais quelque chose comme capitaine ou général ; alors j’épousais ou j’enlevais Régina, pour de bon, cette fois.

Si absurde que fût ce roman enfantin, j’avais fini par le caresser avec une vague espérance… et, chose bizarre dont je me gardais bien de dire un mot à mes amis, souvent en songeant à Régina, j’avais comme un vague regret de la mauvaise vie que nous menions, et, malgré l’exemple de Bamboche, un instinct inexplicable me disait qu’il y avait quelque chose d’honnête, de pur, d’élevé dans l’amour…

Au milieu du trouble, de la douleur où m’avaient jeté les craintes que m’inspirait le sort de mes amis disparus, le souvenir de Régina ne m’était pas d’abord venu à l’esprit ; mais au milieu de mes incertitudes au sujet des offres de Claude Gérard je pensai à Régina et je me dis :

« — Pour rien au monde je ne me serais séparé de mes amis ;