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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/209

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correspondance qu’un singulier événement mit plus tard en ma possession.

Ces débris d’une lettre lacérée, écrite peu de temps avant ma rencontre avec Claude Gérard, expliquent parfaitement la résignation de celui-ci aux fonctions les plus diverses, les plus pénibles, les plus repoussantes, et l’irritation haineuse que cette résignation inspirait à ses ennemis.

Cette lettre, adressée à une personne restée inconnue pour moi, était écrite par l’abbé Bonnet, curé de la commune dans laquelle Claude Gérard était instituteur.

« 
En un mot, c’est intolérable…

« Il est impossible de trouver ce Claude Gérard en défaut ; il accepte tout, il se résigne à tout avec une patience, avec une soumission qui, chez un homme de sa capacité (malheureusement elle est incontestable), ne peut être que le comble du dédain.

« M. Claude Gérard se croit sans doute d’un esprit trop élevé, d’une nature trop supérieure, pour se trouver humilié de quelque chose. Il remplit les fonctions les plus basses, les plus viles, avec une sérénité qui me confond ; non-seulement il se soumet rigoureusement à toutes les charges qui lui sont imposées comme annexes de ses fonctions d’instituteur, mais il trouve encore le moyen d’obéir à des exigences de ma part que j’espérais bien lui voir décliner (et il le pouvait à la rigueur), afin de m’armer contre lui, au moins d’un prétexte ; mais il est trop fin pour cela, et avec sa diabolique et dédaigneuse soumission, il me force de reconnaître que je suis son obligé… peut-être enfin le lasserai-je… Espérons-le du moins… … Il faudrait donc tâcher d’abord de le déconsidérer. C’est fort difficile, car il n’est pas jusqu’aux avilissants travaux dont il est chargé qu’il n’ait l’art de relever par l’espèce de dignité calme avec laquelle il les accomplit aux yeux de tous. C’est un lien de plus, au moyen duquel il se rattache toute cette plèbe, vouée forcément aux travaux grossiers ; il fait avant tout ressortir aux yeux de ces gens-là l’utilité des choses ; de cette manière, il s’honore et il se fait honorer de se sou-