Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/210

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mettre aux fonctions les plus répugnantes. Déconsidérez donc un pareil homme !

« Que vous dirai-je ? Ce malheureux-là, avec sa douceur inaltérable, son obéissance, ses guenilles, ses sabots, son grabat, son pain noir et son eau claire, fait mon désespoir ; il me gêne, il m’obsède, il me critique de la façon la plus insolente, la plus amère… non que Je sache qu’il ait jamais osé dire un mot de blâme sur moi… mais cette austérité, cette résignation qu’il affecte, jointes à son savoir et à sa rare intelligence, sont comme une protestation de tous les instants contre ma manière de vivre, contre l’espèce d’aisance dont je jouis grâce aux libéralités de cet excellent comte de Bouchetout, le diamant de mes paroissiens, mais je crains.

 
 

« … Il faudrait une raison majeure pour éloigner Claude Gérard de cette commune, où il tient par mille liens invisibles, mais très-forts ; il exerce sur tout le monde une sorte d’influence, et ceux-là sur qui cette influence est la plus grande sont ceux qui s’en doutent le moins ; parce que ces butors-là le traitent familièrement, ils ne se doutent pas qu’il fait d’eux ce qu’il veut. Vous n’avez pas idée des affaires contentieuses qu’il arrange, des germes de procès qu’il étouffe ; il donne aux petits tenanciers contre leurs propriétaires les conseils les plus perfides ; car il a l’art infernal de ne jamais outrepasser la légalité pour laquelle il affecte de professer le plus grand respect.

« Tout ceci revient à mon dire : cet homme jouit d’une grande popularité ; il faut d’abord la détruire, là est toute la question.

« J’avais espéré découvrir quelque chose de fâcheux à propos des absences fréquentes de notre homme, absences qui duraient une partie de la nuit, car pour ne manquer à aucun de ses devoirs, il prenait sur son sommeil le temps nécessaire pour ses excursions.

« J’ai su le fin mot de la chose : il se rendait ainsi, m’a-t-on dit, hebdomadairement, à la maison d’aliénés de votre ville. J’ai fait prendre des informations auprès du directeur de cette maison. En