Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/212

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cette commune. Ils avaient raison, ils comprenaient tout le danger qu’il y avait à éclairer les populations : c’était donner à celles-ci les moyens de se compter, de s’entendre, de se concerter, et surtout de s’animer, de s’exalter à la lecture des livres et des journaux exécrables qui s’impriment aujourd’hui. Selon moi, selon ces sages et prudents propriétaires, l’éducation du peuple devrait se borner à l’enseignement oral du catéchisme par le curé — rien de plus[1].

  1. M. Lorrain, dans son excellent ouvrage officiel que nous avons déjà cité, déplorant certaine résistance systématique et inintelligente aux développements de l’éducation populaire, s’exprime ainsi :

    « … Mais c’est souvent parmi les hommes franchement dévoués au gouvernement, que l’on entend des objections contre la loi, — tantôt ils les puisent dans l’intérêt de l’agriculture : — Quand tous les enfants du village sauront lire et écrire, où trouverons nous des bras ? — Nous avons besoin de vignerons et non pas de lecteurs, — dit un propriétaire du Médoc. — Au lieu d’aller perdre leur temps à l’école, qu’ils aillent curer un fossé, — dit un bourgeois du Gers. — Tantôt un amour-propre insensé révolte les fermiers un peu aisés contre l’idée d’envoyer leurs enfants s’asseoir côte à côte sur le même banc que les indigents. Lire, écrire et compter, c’est pour eux un insigne de l’aisance, comme de pouvoir monter sur un bidet pour aller au marché, pendant que l’indigent chemine pédestrement près d’eux, comme de prendre place à la messe dans son propre banc, au lieu de s’agenouiller sur le pavé commun. »

    Puis suivent des notes extraites des rapports des inspecteurs généraux.

    « Il est une autre cause qui nuit au progrès de l’instruction : c’est l’influence qu’exercent dans les campagnes certaines personnes distinguées par leur fortune ; ces personnes prétendent qu’il est inutile de montrer à lire à des paysans qui doivent gagner leur pain à la sueur de leur front. — (Ardenne, canton de Mézières, p.185.) — Les propriétaires aisés disent qu’ils se garderont bien de faire instruire les enfants indigents de leur commune. S’il en était ainsi, ajoutent-ils, on ne trouverait plus personne pour cultiver les terres. (Gironds, p. 186.)

    « Malheureusement, la force des choses en a décidé autrement. La religion du gouvernement à été surprise par des brouillons inconsidérés, nous avons donc été obligés de subir l’école primaire.

    « — Vous ne voulons pas, disent les propriétaires, — instruire les enfants pauvres, parce que la culture de nos terres serait abandonnée ; les enfants pauvres prendraient des métiers. (Gers.)

    « ([Dordognee siècle.) — Les habitants d’une classe plus élevée ne sont pas en général favorables à l’extension des études primaires, persuadés que le paysan qui dépasse un certain degré de connaissances, devient un personnage inutile. (P. 185.)

    « (Drome.) — Les familles riches sont loin d’encourager l’instruction primaire, et témoignent hautement qu’elles craignent de voir l’instruction se répandre dans les classes pauvres. (P. 187.)

    « (Cher.) — Beaucoup de propriétaires sans aucune aversion pour le gouvernement, mais, avant tout, amis de l’ordre et de la paix, ne voient pas sans inquiétude pro-