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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/214

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« — Ou vous avez pour le peuple une sympathie fraternelle, — m’a dit Claude Gérard, — et alors vous devez tâcher qu’il reçoive autant d’instruction que vous en avez reçu vous-même, puisque l’instruction moralise, améliore ; car sur cent criminels, il y en a quatre-vingt-quinze qui ne savent ni lire ni écrire ;

« Ou vous regardez au contraire le peuple, je ne dirai pas comme votre ennemi, mais comme un antagoniste dont les intérêts sont opposés aux vôtres… Eh bien ! donnez-lui encore de l’éducation ; car, au lieu d’avoir à redouter un ennemi que la misère et l’ignorance peuvent rendre farouche, stupide, brutal, féroce, vous aurez un adversaire aux sentiments, à l’esprit, au cœur, à la raison duquel vous pourrez appeler avec succès, parce qu’il sera éclairé.

« — Eh bien ! Monsieur le curé, me dit la dupe de l’instituteur, ce simple langage m’a frappé, tellement frappé, que j’ai rougi de honte et de pitié en voyant un homme instruit, doux, résigné, laborieux comme Claude Gérard, vêtu ainsi qu’un mendiant, avec des sabots aux pieds ; j’ai rougi de honte encore, et de pitié aussi, en pensant à l’étable où notre instituteur donne ses leçons. Je suis donc presque décidé à faire les frais, pour la commune, d’un local plus convenable, et à porter les appointements de Claude Gérard à une somme qui lui permette de vivre au moins d’une manière décente.

« Je regardai la dupe de Claude Gérard avec la consternation que vous imaginez.

« — Cela n’est pas sérieux, — dis-je à cet égaré.

« — Si sérieux, mon cher Monsieur le curé, que j’ai déjà en vue une maison qui me paraît sortable.

« Heureusement la Providence vint à mon secours : la mort presque subite d’un oncle de cette pauvre dupe la força de quitter le pays ; des affaires importantes la retinrent longtemps et la fixèrent enfin à Paris ; aussi ce Claude Gérard est resté Jean comme devant, donnant ses leçons dans une étable infecte, malsaine… que les enfants devraient fuir comme la peste… et pourtant quoiqu’ils tombent souvent malades par suite du mauvais air qu’on y respire, la diabolique école est toujours comble… »