Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/226

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oiseaux. Allons, mon enfant, du courage et du contentement au cœur… notre travail sera utile à tous… Dépêchons-nous… il faut que nous soyons de retour à midi pour préparer la classe…

Et Claude Gérard, se mettant bravement à l’œuvre, à grands coups de râteau, ramena un épais limon sur la berge du lavoir ; je remplissais mon seau de cette vase, et j’allais la déposer tout le long d’un grand rideau de peupliers.

Je l’avoue, l’exemple, les paroles de Claude Gérard, en relevant à mes yeux le travail auquel je participais, me le rendirent moins pénible, moins répugnant.

Mon nouveau maître, afin sans doute de m’encourager encore, me dit, au bout d’une heure :

— Ce printemps, mon enfant, nous viendrons visiter ces peupliers… Grâce au limon que tu déposes à leur pied, tu verras comme ils pousseront verdoyants et touffus ; car cette vase, si mauvaise dans le lavoir… devient un excellent engrais pour ces beaux arbres, dont elle nourrit les racines… Eh bien ! dis, cher enfant, te sentiras-tu humilié d’avoir contribué à rendre ces grands arbres plus beaux, plus vigoureux que jamais, en jetant quelques seaux de vase à leur pied ?

— Oh ! non, Monsieur… je viendrai, au contraire, les voir avec plaisir, — m’écriai-je, de plus en plus enchanté des réflexions de Claude Gérard.

Et tel est le caractère des enfants, que ce n’est pas sans une certaine satisfaction d’amour-propre que je terminai une tâche commencée d’abord avec dégoût.

Si j’insiste ainsi sur quelques-uns des enseignements pratiques de Claude Gérard, c’est qu’ils eurent une action décisive, presque incessante sur ma vie ; je dois dire aussi à ma louange peut-être, ou plutôt à celle de Claude Gérard, que ses enseignements simples, clairs, logiques, pénétrèrent presque immédiatement et très-avant dans mon esprit et dans mon cœur, tandis que c’est avec un certain malaise moral, avec une répugnance instinctive, que j’avais accepté les exécrables maximes du cul-de-jatte que Bamboche me prêchait naguère.

Après avoir ainsi commencé le curage du lavoir, nous revînmes en hâte au logis ; un morceau de pain noir et quelques noix compo-