Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/306

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tecteur est mort ce matin même… Il me restait un ami d’enfance, je l’ai cherché inutilement toute la journée… J’espérais le trouver ici ce soir… ce dernier espoir me manque… Quand j’ai pris votre voiture, j’en ignorais le prix… Je n’ai pas de quoi vous payer tout ce que je vous dois… Il me reste en tout 9 francs et quelques sous… les voilà… Fouillez-moi, si vous voulez, je n’ai pas un liard de plus.

— Ça ne fait pas mon affaire à moi, — s’écria le cocher courroucé ; — quand on n’a pas de quoi payer une voiture, on va à pied.

— Vous avez raison… Monsieur, mais je ne connaissais pas Paris, je comptais me rendre tout de suite chez mon protecteur… mais…

— Tout ça ne me regarde pas, moi, il me faut mon argent, — reprit le cocher, — ça ne peut pas se passer comme ça.

— Eh bien ! gardez encore ce paquet, Monsieur… c’est tout ce que je possède au monde… il ne me reste que les habits que j’ai sur moi…

Mes larmes, que j’avais d’abord contenues à grand’peine, s’échappèrent de nouveau malgré moi, tant j’éprouvais de honte et de chagrin.

— Ah çà… voilà que vous pleurez, — dit le cocher d’une voix moins rude, — c’est donc vrai ce que vous dites là ?

— Cela n’est que trop vrai, Monsieur…

— Qu’allez-vous faire ? Où allez-vous passer la nuit ?

— Je n’en sais rien, — dis-je avec abattement. Et, chose étrange, je me souvins que, bien des années auparavant, j’avais fait la même réponse à la Levrasse après m’être sauvé de chez mon maître le Limousin.

Le cocher parut touché ; il reprit :

— Allons, mon pauvre garçon, ne pleurez pas. Voyons, je ne peux pas perdre ma journée, moi… faut que je compte avec mon bourgeois… mais je ne vous laisserai pas sans le sou… et sur le pavé, par une nuit pareille. Tenez, reprenez ces vingt sous… et votre paquet… Vous trouverez un garni près la barrière… une lanterne rouge… on y couche à la nuit pour quatre sous… Voilà le numéro