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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/326

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— Vous avez raison, — lui dis-je, en attachant sur lui un regard pénétrant, — mais… si… mademoiselle Régina… savait que…

Il ne me laissa pas achever ; sa physionomie, souriante et débonnaire, devint tout à coup grave et inquiète ; un instant, sans doute, les fumées du vin se dissipèrent à demi, sous l’impression du profond étonnement qu’il éprouvait ; il se redressa, son pas me parut plus ferme ; alors, le regard impérieux, presque courroucé, il s’écria :

— De quel droit prononcez-vous ce nom-là, Monsieur ?

— Je prononce le nom de mademoiselle Régina, — ajoutai-je, sans me laisser intimider, — de mademoiselle Régina… fille du baron…

— De Noirlieu !… — s’écria-t-il ; — vous la connaissez ?… vous ?

Puis il garda le silence, et dégageant brusquement son bras du mien, il se recula d’un pas et m’examina avec une surprise et une curiosité mêlée de défiance…

Mais, ainsi que je m’y attendais, son retour à la raison fut passager ; peu à peu, l’ivresse reprit le dessus à mesure que s’effaça le saisissement dont avait été frappé l’inconnu en m’entendant prononcer le nom de Régina ; son attitude, un instant raffermie, redevint chancelante, il hocha la tête et reprit d’un air qu’il tâchait de rendre fin et pénétrant :

— Oh !… oh !… mon galant homme… en bonnet grec et en blouse… vous connaissez ?… suffit… Ne seriez-vous pas… un rival… déguisé ? Cela serait… piquant… Je ne… comptais… que sur ce… Robert de Mareuil… l’ami d’enfance… et… sur… ce vilain décrassé… cet homme mûr, très-mûr… trop mûr… nommé…

S’interrompant encore, l’inconnu se prit à sourire d’un air de satisfaction et ajouta :

— Vous voilà… bien penaud… je ne dis que ce que je veux dire, moi… Ah ! vous m’espionnez… ceci est de très-mauvaise compagnie… mon cher… mais c’est égal, je sais comment me tirer d’affaire… si… vous… si vous… Jasez…

Le nom de Robert de Mareuil, prononcé par l’inconnu, me rappela soudain la scène de la forêt de Chantilly, scène dont les moin-