de loin nous voyions déjà la barrière ; soudain l’inconnu me dit d’un air mystérieux :
— Dites donc… mon… galant homme… en bonnet grec, une excellente plaisanterie ? Vous avez voulu me faire jaser… Si je vous faisais arrêter en disant que c’est vous qui m’avez volé… je saurais qui… vous êtes…
— Me faire passer pour voleur ?… La plaisanterie n’aurait aucun sel, — lui dis-je, — car voilà ce qu’on trouverait sur moi.
Et je lui montrai les quelques sous qui me restaient.
— C’est toujours ça de rattrapé, — me dit l’inconnu en éclatant de rire.
Et il me saisit la main afin de s’emparer des sous que son brusque mouvement fit tomber à terre. Alors l’inconnu se jeta sur moi, et, m’étreignant vigoureusement, il se mit à crier au voleur de toutes ses forces.
Nous n’étions pas loin de la barrière où je voyais un factionnaire. Effrayé des suites que pouvait avoir pour moi une pareille arrestation et n’ayant malheureusement pas le temps de ramasser les sous qui s’étaient éparpillés çà et là dans la boue, je me débarrassai non sans peine des mains de l’inconnu dont les cris redoublaient, et je m’élançai dans la campagne à travers champs, fuyant avec la plus grande rapidité.
Poursuivi par la crainte d’être arrêté, je marchai jusqu’à la tombée de la nuit, si promptement venue à cette époque de l’année. Je me trouvais au milieu des champs ; j’aperçus au loin, à ma gauche, un village, et, à ma droite, à deux cents pas environ, plusieurs meules de blé qui me rappelèrent celles où, plus d’une fois, Bamboche, Basquine et moi nous avions trouvé un gîte pour la nuit lors de nos pérégrinations vagabondes.
Ne possédant plus un sou, je jugeai prudent de passer la nuit à l’abri de l’une de ces meules, au lieu de retourner à Paris pour y errer jusqu’au lendemain. Ayant vécu de bien peu depuis deux jours, et étant à jeûn depuis la veille, je commençai de ressentir impérieusement la faim. Je cherchai des yeux si je ne découvrirais pas quel-