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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/60

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rent machinalement à la Levrasse, et s’écrièrent, en se jetant aux genoux de leur mère :

— Signe… maman… signe.

— Signer… mais… quoi ? — dit la malheureuse femme, la tête à moitié perdue, en entendant les gémissements de son mari à l’agonie, les cris douloureux de Jeannette et les prières de ses autres enfants.

— Signez l’engagement de Jeannette jusqu’à vingt-un ans… c’est son bonheur que j’assure.

La pauvre femme, cédant à la frayeur, à l’émotion, au désir de mettre un terme à l’affreuse misère de ses enfants, signa à travers ses larmes, et même sans le lire, l’engagement de Jeannette.

— Maintenant, mes enfants… — s’écria la Levrasse, — à table… mangez…

Ce fut, hélas ! une véritable curée : les enfants se ruèrent sur le souper avec une frénésie dévorante, déchirant, se disputant les morceaux, pendant que mon maître, ayant remis l’engagement dans sa poche, courait au lit du moribond pour lui enlever Jeannette.

La malheureuse enfant poussait des cris navrants, et s’écriait au milieu de ses sanglots :

— Papa !… je veux rester avec toi !… Laissez-moi !… laissez-moi !…

La femme du charron, ne pouvant supporter ce cruel spectacle, fit d’un geste désespéré rouler à ses pieds l’argent que mon maître avait laissé sur ses genoux, et s’écria :

— Reprenez votre argent… laissez-nous notre enfant… le bon Dieu fera de nous ce qu’il voudra… mais vous n’emporterez pas notre enfant.

La Levrasse ne répondit rien, haussa les épaules et vint facilement à bout d’arracher Jeannette du cou de son père, qui semblait alors avoir perdu tout sentiment ; puis, tenant entre ses bras l’enfant qui se débattait en vain, mon maître dit à la femme du charron en gagnant la porte :

— Il est trop tard pour vous rétracter… j’ai l’engagement en poche.