Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/61

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— Ma fille !… je veux ma fille !… il m’emporte ma fille ! — s’écria la pauvre mère en voyant la Levrasse envelopper Jeannette dans son manteau. — Mes enfants… au secours !… empêchez-le de sortir… jetez-vous après lui… Sainte Mère de Dieu, venez à mon secours… on me vole ma fille !… mon mari me tuera !!!…

Les enfants affamés, ne songeant qu’à satisfaire une faim dévorante, n’obéirent pas aux ordres de leur mère, et la Levrasse, chargé de son léger fardeau, ouvrit bientôt la porte.

J’étais resté immobile, épouvanté, au milieu de la chambre ; il fallut, pour m’arracher à ma stupeur, que mon maître se retournât sur le seuil de la porte et me criât d’une voix terrible :

— Viendras-tu ?

Je courus machinalement vers la Levrasse, et lorsqu’il ferma prudemment la porte à double tour, j’entendis la voix de la femme du charron, criant avec l’expression d’une prière fervente et désespérée :

— Bonne sainte Vierge… ayez pitié de moi… Sainte Mère de Dieu… venez à mon secours… C’est donc toujours en vain que je vous supplie !!

Mon maître m’attira à lui, de sa main de fer, et me força de le suivre à grands pas.

Contre mon attente, au lieu de traverser le bourg, nous sortîmes dans la campagne par l’autre extrémité de la ruelle ; après avoir marché environ un quart d’heure à travers champs, nous retrouvâmes nos voitures qui étaient venues sans doute par l’ordre de la Levrasse nous attendre sur la grande route.

Il faisait tout à fait nuit ; nous laissâmes bientôt le bourg assez loin derrière nous, grâce à l’allure rapide que la Levrasse fit prendre à nos chevaux comme s’il eût craint d’être poursuivi.