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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/74

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méchant, qui l’a fait mendier avec lui, et qui le battait presque tous les jours…

— Être sans père ni mère !… demander l’aumône sur les routes !… être battu !… — répétait lentement Basquine avec une émotion et une surprise croissantes, qui disaient assez que, malgré la misère où elle avait jusqu’alors vécu, elle pouvait à peine concevoir un sort aussi cruel que celui de Bamboche.

— Et puis plus tard… la Levrasse l’a rencontré mendiant sur les routes, et il l’a emmené… il a été aussi très-méchant pour lui, si méchant que ce pauvre Bamboche voulait se sauver… il le pouvait…

— Et pourquoi ne s’est-il pas sauvé ?

— À cause de toi.

— À cause de moi ?

— Oui… Depuis qu’il t’avait vue en allant chercher le portefeuille… il parlait toujours de toi, et comme la Levrasse avait dit devant lui que, tôt ou tard, ton papa te laisserait venir avec nous, Bamboche a dit : « Ça m’est égal d’être battu… on me fera tout le mal qu’on voudra, mais je resterai… parce que peut-être Basquine viendra… et alors je ne la quitterai plus. »

À cette heure que l’expérience et la réflexion m’aident à interpréter et à compléter ces souvenirs si présents à ma mémoire, je m’explique l’étonnement et l’émotion de Basquine en m’entendant lui donner ces preuves de l’affection qu’elle avait inspirée à Bamboche ; dans l’ignorance de son âge, dans la candeur de son cœur, la pauvre enfant éprouvait pour notre compagnon une grande commisération sans doute, et se sentait disposée à l’aimer comme un frère, parce que, selon mes paroles, il l’aimait, lui, comme une sœur : parce qu’il avait été jusqu’alors très-malheureux, et qu’il avait même bravé les plus mauvais traitements pour attendre le jour où elle devait faire partie de notre troupe… Mais de ce dernier trait d’affection un peu romanesque pour cet âge, Basquine semblait plus étonnée que touchée ; la seule chose qui frappa cette naïve et innocente créature, fut le malheur auquel Bamboche était voué depuis