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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/75

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son enfance, car, après m’avoir écouté dans un silence rêveur, elle me dit :

— Tu ne sais pas ? quand papa viendra me chercher, il faudra qu’il emmène aussi Bamboche, puisqu’on est tant méchant pour lui… Chez nous, vois-tu ? quelquefois nous avons bien faim, bien froid, mais nous ne demandons pas l’aumône, papa et maman ne nous battent jamais, parce que nous ne faisons jamais mal… Nous ne sommes pas menteurs, nous sommes sages, nous apprenons ce que maman nous montre… sans cela elle aurait beaucoup de chagrin ; et nous prions la bonne sainte Vierge pour nous et pour ceux qui sont encore plus malheureux que nous… Aussi, vois-tu ? — reprit-elle après un moment de réflexion et avec une grâce charmante, — comme ça j’aurai prié la bonne sainte Vierge pour Bamboche sans le savoir, et elle l’aura protégé, puisque papa l’emmènera avec nous… pour qu’il ne soit plus battu ici…

Quoique cette protection de la sainte Vierge me parût, cette fois encore, des moins efficaces, je n’osai pas troubler l’espérance de Basquine, et je lui répondis :

— C’est cela, ton père emmènera Bamboche,

— Et toi aussi, — ajouta-t-elle en me regardant avec une ineffable douceur, — toi aussi, car tu es bon pour moi… tu es toujours là…

— Oh ! si Bamboche n’avait pas été malade, c’est lui qui t’aurait bien mieux soignée que moi…

— Tu crois ?

— Oh ! bien sûr.

— Et pourquoi serait-il pour moi encore meilleur que toi ?

Ce terrible pourquoi, si familier aux enfants, m’embarrassait beaucoup, je tournai la difficulté en disant :

— Il t’aime encore plus que moi… parce qu’il y a plus longtemps qu’il te connaît que moi…

Cette raison ne parut qu’à demi satisfaire Basquine ; elle resta rêveuse quelques moments et me dit ensuite avec un accent de curiosité naïve :

— Quand donc est-ce que je le verrai, Bamboche ?