Aller au contenu

Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/333

La bibliothèque libre.
Cette page n’est pas destinée à être corrigée.

_ ——

4

LE BERGER DE KRAVAN, 313

l’on enviait, que l’on admirait tombent tout à coup au milieu des lemps les plus paz- sibes et où la confiance est «uw comble ? mais alors, monsieur Dupin, fuslement que de- viennent ces milliers d’ouvriers que ces manufacturiers employaient ? leur ruine les jette sur le pavé. et cela, dites-vous, même dans les temps les plus poistbles et lorsquela confiance est à son comble. Ainsi, vous l’avouez vous-même, monsieur Dupin, sous ce beau temps des royautés lout prospérait donc aussi mal dans les villes que dans les cam- pagnes ; m’est avis que votre page 49 donne un fier soufflet à votre page 45. Ah ! mon- sieur Dupin, monsieur Dupin, ça vous a porté malheur dé vouloir chanter la chanson - nette de M. Thiers, parlant par respect.

— En effet, père Mathurin, comme M. Thiers, M. Charles Dupin à voulu s’en aller en guerre avec armes et bagages contre les républicains socialistes. Or ces maudits socia- listes démontrent par des faits, depuis nombre d’années, ce qu’avait prédit l’immortel Fourrier, le maître vénéré des phalanstériens, à savoir : que la concurrence impitoyable, acharnée, presque toujours improbe et parfois infime que se font les manufacturiers entre eux pour se ruiner, pour s’écraser les uns les autres, était une concurrence horrible, impie, désastreuse, parce qu’elle ruinait les patrons et affamait les ouvriers, parce que Paul, pour donner ses marchandises à plus bas prix que Jacques, finissait par réduire tellement le prix de la main-d’œuvre, c’est-à-dire le salaire des ouvriers, que ceux-ci ne pouvaient plus vivre ou vivaient de telle sorte que c’était pour eux mourir un peu tous les jours. Atin de remédier à ces maux affreux, les socialistes proposent d’organiser le travail, de mettre un terme à ces concurrences, ruine des manufacturiers et des ouvriers. A cela, M. Thiers, M. Dupin et leurs compères, répondent ceci : « Tant pis pour les ma- » nufacturiers, tant pis pour les ouvriers ; grâce à la concurrence ïllinntée, celui qui » achète aujourd’hui une aune de cahicot 75 centimes ne la payera dans trois mois que 74. » Des milliers de familles seront plongées dans une misère atroce, c’est vrai ; d’honnêtes » mauufacturiers s’abimeront dans la ruine, dans le désespoir, se déshonoreront peut- » êlre, c’est encore très-vrai ; mais le calicot coûtera { centime de moins ; par exemple, » le mavufacturier qui aura écrasé ses concurrents pourra, lorsqu’il sera maître du mar- » ché, faire renchérir le calicot de 2 centimes : ce qui le meutra plus cher qu’auparavant. » Mais, un instant, Dieu est souverainement juste ; aussi arrive bientôt un nouveau con- » current qui à son tour, le gaillard, écrase celui qui avait écrasé les autres. Et le calicot » redescend, puis 1l remonte, et ainsi de suite jusqu’à la ruine complète de l’industrie en » France... C’est ce qu’on appelle la liberté absolue du commerce ; c’est la gloire de notre » temps, c’est superbe ! !l et les vrais défenseurs de l’ordre ne souffriront pas qu’on y » touche, à cette gloire, entendez-vous, anarchistes, socialistes que vous êtes ? »

— Mais c’est une guerre aussi cruelle que la guerre à coups de canon, — s’écria le vieux berger, et ce n’est pas le boulet, mais la faim qui tue dans cette guerre-là…

— Qui, père Mathurin, c’est la guerre industrielle, guerre sans merci ni pitié, dans laquelle les forts écrasent les faibles, les fripons ruinent les honnêtes gens, et ce désordre épouvantable, ce brigandage légal, cette guerre horrible qui, comme vous le dites, tue, par la misère, dix fois plus d’hommes que les batailles, cette guerre civile des intérèts, qui la soutient ? toujours les défenseurs de l’ordre. Mais, vous le voyez, tel est l’empire

de lavérité, que M. Dupin lui-même, malgré ses préventions, malgré son riant tableau de la prospérité des manufactures, est forcé de se contredire, Tenez, père Mathurin, lisez ces lignes écrites par un collègue de M. Dupin à l’Académie des sciences morales et politiques ; ce sont des fragments da rapport officiel de M, Blanqui dont je vous parlais

tout à l’heure, à propos de cette épouvantable mortalité d’enfants à laquelle vous ne pou- viez pas croire. {rois cents enfants survivant sur vingt-un mille.

Et je donuai au vieux berger ce fragment du Rapport que j’avais sur moi, il s’agissait du sort des ouvriers de Lille,

Et le père Mathurin lut ce qui suit : IV. — LES MISÈRES. 40