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Page:Sue - Les mystères de Paris, 1ère série, 1842.djvu/96

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Le brigand baissa la tête d’un air sombre, hagard, et resta un moment silencieux.

— À quoi penses-tu, Chourineur ? — dit Rodolphe, l’observant avec intérêt.

— À rien, à rien — reprit-il brusquement. Puis il reprit avec sa brutale insouciance :

— Enfin on m’empoigne, on me met sur la planche au pain, et j’ai une fièvre cérébrale.[1].

— Tu t’es donc sauvé ?

— Non ; mais j’ai été quinze ans au pré au lieu d’être fauché[2]. J’ai oublié de vous dire qu’au régiment j’avais repêché deux camarades qui se noyaient dans la Marne ; nous étions en garnison à Melun. Une autre fois… vous allez rire et dire que je suis un amphibie au feu et à l’eau, sauveur pour hommes et pour femmes ! une autre fois, étant en garnison à Rouen, toutes maisons de bois, de vraies cassines, le feu prend à un quartier : ça brûlait comme des allumettes ; je suis de corvée pour l’incendie ; nous arrivons au feu ; on me crie qu’il y a une vieille femme qui

  1. On me met en jugement, et je suis condamné à mort.
  2. Aux galères au lieu d’avoir été exécuté.