Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 3-4.djvu/153

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dant incessamment les plaisanteries ordurières ou obscènes du paillasse, les jurements, les blasphèmes, les propos cyniques de tous, Basquine commença par rire de ces obscénités, de ces ordures, bientôt mises à la portée de ses huit ans, et finit par jurer, par blasphémer comme nous tous… car, ainsi qu’elle et avant elle, ai-je besoin de le dire ? j’avais subi cette influence corruptrice.

Tout-à-fait rétablie de sa maladie, et quoique souvent encore elle demandât son père, Basquine se sentit peu-à-peu distraite de ses regrets par notre gaîté grossière. Bamboche et moi, nous nous ingénions à dissiper par mille moyens les retours de tristesse dont elle était parfois atteinte en songeant à sa famille ; Basquine prit aussi, peu-à-peu, un goût extrême aux leçons de danse et de chant (ou plutôt de chansons licencieuses) que lui donnaient la mère Major, la Levrasse et le paillasse ; naturellement douée d’une souplesse et d’une grâce incroyable, elle dansa bientôt à ravir deux ou trois pas de caractère ; sa voix enfantine et pure, douée d’un charme indéfinissable, contrastait étrangement avec les paroles graveleuses des chansons qu’on lui enseignait.

La première fois où Basquine parut en public, dans l’une de nos représentations, elle eut un succès fou ; la recette fut énorme ; de ce moment l’enfant ressentit un fatal attrait pour notre profession ; et d’ailleurs, quelle créature, même plus raisonnable qu’elle, eût résisté à l’entraînement de ces sortes d’ovations, toujours si flatteuses, si enivrantes, quoique décernées par le public ignorant et grossier, qui se pressait autour de nos tréteaux, seul spectacle accessible à sa pauvreté ?