Après nos représentations, c’est-à-dire après chaque triomphe, car elle faisait, comme on dit, fureur, la ravissante petite figure de Basquine rayonnait de bonheur et d’orgueil, et elle s’habitua tellement à cette vie de bohème, d’émotions irritantes, de voyages scabreux et de joies grossières, qu’au bout de six mois elle me disait d’un air pensif :
— Il me semble que je mourrais d’ennui, si j’étais maintenant forcée de vivre comme autrefois, chez nous… et pourtant, quand j’ai du chagrin, c’est que je pense à mon bon père… à ma pauvre mère… à mes sœurs…
Basquine, en effet, pensa d’abord souvent à sa famille, puis ces ressouvenirs devinrent moins fréquents : je ne surprenais plus que bien rarement des larmes de regret dans ses grands yeux noirs, devenus tout-à-coup tristes et rêveurs.
Une fois aussi, je vis Basquine éprouver une sorte de frayeur involontaire et inexplicable.
Elle avait, comme toujours, chanté, dansé avec une grâce extrême ; dans l’une de nos parades on la redemandait à grands cris ; elle disparut : on la cherchait partout ; je la trouvai blottie sous notre voiture, au milieu de quelques bottes de fourrage ; elle pleurait à chaudes larmes ; sa figure était pâle, bouleversée.
— Qu’as-tu donc, petite sœur ? — lui dis-je.
— Je ne sais pas… — me répondit-elle d’une voix altérée, — j’ai eu peur.
— Peur !… et de quoi ?…
— De tout ce monde qui me rappelait…
— Mais on t’appelait pour te faire fête. Ils tré-