— Mais, sauf ces moments où j’ai le cœur gros, je l’ai plein de joie,… parce que je commence à me dire que cette canaille de cul-de-jatte pourrait bien m’avoir enfoncé ; car, cette nuit, je me disais : voyons, mon pauvre père est mort en travaillant ; toute sa vie il a eu de la misère, quoiqu’il ait été honnête et laborieux… Bon, c’est vrai mais ça n’empêche pas que tous les braves gens diraient de lui, avec estime : pauvre b… ; je sais bien que les brigands comme le cul-de-jatte diraient : s… dupe ! mais personne, ni bons, ni méchants, ne dirait de mon père : mauvais gueux !
— Oh non ! — m’écriai-je, ainsi que Basquine.
— Eh bien ! — reprit résolument Bamboche, — j’ai bien songé à ça cette nuit ; on dira peut-être de moi : pauvre b… s… ! dupe ! mais on ne dira jamais : mauvais gueux…
De nouveau Basquine et moi nous nous exclamâmes de joie.
— Quand mon père a été mort, — reprit Bamboche, — ma première idée, et c’était la bonne, a été de travailler ; j’ai demandé du pain et du travail à un riche… Il m’a répondu en aguichant contre moi son chien, c’est vrai, mais tout le monde n’est pas des brigands pareils.
— Bien sûr ! — m’écriai-je.
— Alors, pour mon malheur, j’ai rencontré le cul-de-jatte, et puis après, la Levrasse et toute la bande, et ça m’a perdu… Mais, minute, il y a quelque chose qui regimbe là-dedans, — et il se donna un grand coup de poing dans la poitrine. — Et j’en reviens là… On ne dira plus de moi : — Mauvais gueux, je l’ai déjà été assez pour moi… et pour les autres.