Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 3-4.djvu/35

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— J’ai juré à ma grand’mère mourante de ne jamais donner de pour-boire, — dit la Levrasse avec une solennité grotesque.

— Attendez donc, bourgeois ; le pour-boire que je vous demande, c’est de me laisser seulement jeter un petit coup d’œil sur l’homme-poisson ; j’ai tâché, pendant la route, de voir à travers les trous, mais je n’ai rien vu.

— Quand nous arriverons dans ta ville d’Apremont, je te donnerai une place gratis, le lendemain de la dernière représentation.

— Mais bourgeois…

— Ah ça ! te moques-tu de moi ? En t’en retournant, tu raconterais sur toute la route ce que tu as vu de l’homme-poisson, et comme il y a des gredins qui se contentent d’avoir vu par les yeux des autres, tu écornerais ma recette…

— Bourgeois, je vous jure…

— Assez causé là-dessus… — reprit la Levrasse ; — as-tu prévenu dans les endroits où tu t’es arrêté, qu’à mon passage j’achèterai des cheveux ?

— Oui, oui, — dit le charretier en étouffant un soupir de curiosité trompée. — J’ai dit que vous feriez votre moisson, faucheur de cheveux que vous êtes, et vous aurez les chevelures à bon compte, car le pain est cher cette année.

— Allons, va-t-en, et bon voyage, — dit la Levrasse, en montrant du geste la porte au voiturier.

— Ainsi, bourgeois, vous ne voulez pas ?…

— T’en iras-tu ? — répondit la Levrasse en frappant du pied avec impatience.