Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 3-4.djvu/432

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abandonné la combinaison des figures bizarres pour tracer d’énormes lettres majuscules : ça avait été d’abord un R, puis un É… l’assemblage de ces deux lettres RÉ me causa une impression indéfinissable, c’était quelque chose d’étrange, de confus, d’inquiétant, d’inconnu… comme un pressentiment…

Je ne pouvais détacher mon regard du doigt de cet homme… je hâtais, si cela se peut dire, de toutes les forces de ma pensée, l’achèvement de la troisième lettre qu’il venait de commencer, et cela (mes souvenirs ne me trompent pas) sans me rendre aucunement compte de la cause de mon impatience. Enfin, le contour de la lettre s’acheva sous le doigt de mon voisin… C’était un G…

Soudain ces trois lettres… les trois premières du nom de Régina, apparurent à mon esprit comme si elles y eussent été tracées en traits de feu…

Et pourtant bien d’autres mots commencent ainsi… Mais je ne sais quelle fatalité me disait que cet homme, ivre d’eau-de-vie, allait, de son doigt alourdi, écrire en entier ce nom sacré pour moi… sur une table de cabaret.

J’oubliai tout, Bamboche, ma position désespérée, l’avenir, pour suivre avec une angoisse dévorante les mouvements du doigt de l’inconnu… Il continuait de tracer une autre lettre… mais de temps à autre il s’arrêtait… Sa tête tantôt vacillait de droite à gauche, tantôt se penchait en avant, tandis que ses paupières gonflées se fermaient à demi… Enfin… la lettre fut tracée… c’était un N… Et bientôt un A suivant cet N, je pus lire en entier sur la table, en grosses lettres, le nom de RÉGINA.