Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 3-4.djvu/433

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Dire ce que je ressentis alors est impossible : il ne me vint pas un instant à l’idée que ce nom de Régina pût appartenir à d’autres personnes, et je me dis : Régina est à Paris ; cet homme jeune et beau, noble et riche sans doute, aime cette jeune fille… car son souvenir lui est assez présent pour qu’au milieu même des abrutissements de l’ivresse il se plaise à tracer ce nom chéri de lui.

Ce nom… l’inconnu, après l’avoir écrit, le considéra pendant quelques instants avec une sorte de satisfaction stupide… pendant que les oscillations de sa tête appesantie devenaient plus brusques et plus fréquentes ; puis il fit entendre une espèce de rire guttural, prononça quelques mots inintelligibles, croisa ses bras sur la table, et y laissa tomber pesamment son front, s’endormant ou s’engourdissant dans la somnolence apathique de l’ivresse…

Un peu au-dessus de l’endroit où était appuyé cet homme, le nom de Régina apparaissait encore à mes yeux ; je me levai doucement, et j’allai effacer, avec un pieux respect, jusqu’aux dernières traces de ce nom profané.

Je revenais à ma place, lorsque la porte du cabaret s’ouvrit de nouveau. Je ne pus retenir une exclamation d’effroi involontaire.

J’apercevais, se dessinant sur les ténèbres extérieures, la figure sinistre du cul-de-jatte. Depuis huit ans que je l’avais vu, ses traits paraissaient encore plus bronzés qu’autrefois, et quoiqu’il parût toujours robuste et décidé, ses cheveux étaient devenus presque blancs ; ses vêtements n’annonçaient pas la misère. Il resta sur le seuil de la porte ouverte comme s’il eût craint d’entrer