que, pour deux bras dont les patrons ont besoin, il s’en lève vingt qui crient à moi… à moi… Nous n’avons qu’une petite bouchée de pain, et tu veux y mordre ? ― s’écria-t-il.
Puis s’adressant à quelques-uns de ses compagnons :
― Voilà un camus !… ― leur cria-t-il d’un air courroucé, ― à vous le camus !!! à vous !!
Ce mot, je l’ai su depuis, signifiait un nouveau concurrent au travail ; je fus à l’instant entouré, menacé ; il fallut ma résolution, appuyé d’une force corporelle assez respectable pour que ma retraite ne fût pas accélérée par de mauvais traitements !
Mon premier mouvement fut de maudire la dureté de cœur de ces hommes ; mais la pitié succéda bientôt à la colère. En effet, la saison était rude, le travail rare, précaire, et faire concurrence à ces malheureux, c’était, comme ils le disaient dans leur langage énergique, ― mordre à leur unique bouchée de pain.
Quittant tristement le port, je remontai sur le quai ; je traversai un pont, et je vis au loin la fumée d’un bateau à vapeur, s’approchant. J’allai à sa rencontre dans l’espoir de trouver le débarcadère où descendaient les voyageurs, et de pouvoir peut-être m’employer à porter les bagages de quelque passager ; en effet, je vis bientôt sur la berge un écriteau désignant le point d’arrivée de ces paquebots ; je me hâtai de descendre au bord de la rivière, mais déjà une double haie d’hommes et de très-jeunes gens déguenillés se pressait sur la rive, attendant avec une impatience jalouse et farouche la proie qui leur arrivait. Échangeant entre eux des injures, des menaces,